L'Educateur n°9 - année 1962-1963

Janvier 1963

L'esprit de notre pédagogie

Janvier 1963

Nous recevons la lettre ci-dessous :

J'ai reçu ce matin la chronique de l'ICEM, avec en particulier le compte rendu des journées de travail de Cannes. Je vais vous soumettre les quelques réflexions que je fais au fil des lignes de ce compte rendu. Je vois que vous avez débattu de questions importantes, qui risquent de changer l’orientation de mon travail en particulier, je parle de mon travail de délégué départemental. Car pour mon travail en classe, vous connaissez ma pensée : pas de pagaille, mais une loi adaptée au travail vivant que permettent les techniques Freinet, une loi que chacun devra respecter, mais une loi dont chacun pourra demander la modification. Je pense que c'est cela la démocratie en classe. D'ailleurs la loi adoptée par tous a une force qui ne provoque pas de réactions affectives des enfants. Le maître ou les présidents n'imposent pas leurs désirs personnels, mais sont simplement les responsables qui font respecter une loi qui existe en dehors d'eux-mêmes.

Cela permet d'éviter les chocs affectifs entre maître et enfants qui sont les plus graves. Une codification des rapports évitera l'arbitraire de même que les manifestations d'indiscipline.

Il faudrait arriver à trouver des lignes de force que chacun de nous suivrait en tenant compte de ses conditions particulières.

Voilà une grande tâche pour vous. Vous avez parlé des recours-barrières pour les enfants, il faudrait peut-être en trouver aussi pour les maîtres. Nous avons parfois besoin de nous raccrocher à une ligne de force qui nous aiderait à découvrir une conduite dans certaines circonstances, comme nous avons besoin de barrières dans d’autres.

Je crois que cette question de la liberté dans l’Education reste à préciser. Je lis en ce moment le livre du Dr Berge, qui traite précisément de cette question.

Il faudrait, je pense, que vous précisiez nettement ce problème. Nous en avions discuté longuement l'an passé, dans notre cahier de roulement et je m'étais heurté à une camarade sur ce thème.

Pigeon m'appuyant, j’ai continué sur la voie que j’avais décidé de suivre et actuellement je ne m’occupe guère de la question discipline. Quelques mises au point suffisent dans cette école où cependant 30 classes cohabitent. Au son de cloche, mes élèves se mettent en rang comme il faut, le président les fait entrer et je n’ai même pas besoin de sortir de classe. Je crois que le « président de jour » a beaucoup transformé l’atmosphère de la classe. Le fait que chacun à son tour puisse diriger la classe et être le chef a fait mieux comprendre à tous la nécessité de l’obéissance à la loi. Car, bien sûr, c'étaient les plus insoumis qui étaient les présidents de jour les plus stricts. Cela va de soi. Les insoumis sont toujours des enfants à forte personnalité et ils sont de bons responsables en général.

Sur mon cahier de roulement, tout comme dans des discussions avec des camarades j’ai remarqué que beaucoup avaient mauvaise conscience lorsqu'ils devaient imposer une règle à l'enfant.

Lorsqu'ils le pouvaient ils devaient donc laisser à l'enfant le maximum de liberté, même si cela devait amener une certaine anarchie.

Je pense qu'une société a besoin de règles. Qu'au départ, une certaine anarchie, contrôlée par le maître, règne en attendant la mise en place de règles découvertes par les enfants n’est pas grave et peut-être est-ce même très éducatif. Les enfants comprendront mieux les règles que leur vie en commun leur a permis de découvrir, les règles dont ils ont senti eux-mêmes la nécessité. Et nous retombons là sur ma discussion de l'an passé. J’avais imposé dès le départ, une loi adoptée et mise au point l’an précédent. Le travail vivant que cette loi permettait l'a vite fait comprendre et respecter aux enfants. Et j’ai gagné du temps sans aucune période anarchique. La mise en place d’un nouvel atelier amène toujours une période de flottement. Les heurts, les échecs, permettent de réviser les règles de travail du départ. Mais, quand une règle de travail rationnelle a été mise au point, faut-il repartir à zéro l’an suivant avec de nouveaux élèves? Je ne le pense pas. Qu’on laisse à ces enfants une période d’adaptation, une période de tâtonnement, cela est normal. Mais je pense cependant que la marge de liberté par rapport à la règle établie doit être limitée justement pour éviter l’anarchie, les heurts qui dégénèrent vite en pagaille.

Je pense que seuls des maîtres particulièrement expérimentés peuvent se permettre de laisser les enfants faire une expérience assez poussée dans le domaine d'une anarchie de départ contrôlée.

Les jeunes ont besoin de s'enfermer dans des règles de travail strictes, qui leur soient des recours. Eux aussi doivent tâtonner pour s’adapter à une nouvelle pédagogie. II leur faudrait une fiche guide d'organisation du travail, une fiche guide des rapports avec les enfants :

1° - Ce que vous devez laisser faire.

2° - Ce que vous pouvez tolérer au départ, à condition de rester maître de la situation.

3° - Ce que vous ne devez pas tolérer.

L'enfant a besoin de savoir clairement ce qui est permis et ce qui est défendu, surtout le jeune enfant, avant qu’il puisse en décider par lui-même.

Pigeon nous disait qu'un enfant laissé libre, serait malheureux. Je le pense aussi. Il serait trop dispersé et aurait aussi l'impression qu’on se désintéresse de lui. Vous l'avez d'ailleurs bien précisé lorsque vous avez parlé des recours-barrières. Mais combien même des anciens ont lu : ESSAI DE PSYCHOLOGIE SENSIBLE ET I’EDUCATION DU TRAVAIL?

Puisque nous sommes au siècle des référendums, on pourrait essayer de le savoir et peut-être cela expliquerait les difficultés, les hésitations, les tâtonnements anormaux.

Je lis toutes les brochures de I'ECOLE MODERNE, je lis en plus, tous les EDUCATEURS REGIONAUX ; je constate dans les réunions que même des anciens ignorent des choses qui ont été réglées depuis fort longtemps. Ils sont en plein tâtonnement sur des questions résolues. Cela est peut-être éducatif, mais ce n'est pas la voie du progrès. Personnellement, j'ai, grâce à un travail assidu dont je n'ai à tirer aucune gloire puisqu’il ne m'en coûtait rien et qu'il m’apportait beaucoup de joie, pris pied sur un tremplin, un palier installé par les anciens. A partir de là, je démarrais tout de suite dans la course avec les travailleurs.

Les enfants, en partant de leur expérience propre, n'ont pas à refaire tout le chemin parcouru par l’humanité pour arriver aux connaissances de notre temps, car ils font des bonds dans l’espace. Ils se servent d’outils qu’il a fallu des siècles pour mettre au point et se trouvent d'emblée dans notre siècle. Il en est de même en pédagogie. Vos découvertes nous permettent un démarrage rapide. Le Bohec s'étonnait dans le cahier de roulement que des jeunes qui démarraient obtenaient avec les enfants des poèmes d'une sensibilité profonde et ceci d'emblée. Ils avaient tout simplement profité de ses leçons comme j'en avais profité moi-même.

Des camarades anciens s'étonnent du chemin que j'ai parcouru rapidement dans le domaine du dessin d'enfant, alors qu'eux, depuis quelques années, tâtonnent sans trouver la réussite. J'ai tout simplement bénéficié de l’expérience profonde d’Elise Freinet sans laquelle j'en serais sans doute encore aux premiers balbutiements dans ce domaine.

Idem pour d'autres techniques. J’ai dit et répété aux réunions que ce qui était essentiel, c’est de lire beaucoup les écrits de l’ECOLE MODERNE et de méditer. Et si vous constatez que les techniques sont en passe de prendre le pas sur l’esprit, je vois là une des raisons principales : le manque de lecture et de méditation.

La mise au point des techniques, suppose une recherche souvent plus matérielle que spirituelle, organisation des ateliers, boîtes etc... manière de faire.

Tout cela est apporté en partie par les visites de classe et les articles : Comment je travaille dans ma classe.

Cela est certes nécessaire, parce que cela fait gagner du temps et que ce temps précieux récupéré sur la mise au point des techniques permet d’approfondir la pensée.

Combien de fois discute-t-on de sujets pouvant accrocher la pensée au cours des réunions? Rarement.

Dès que je branche sur ce chapitre, je sens que ça ne suit plus.

Chez Ménard, après la mise au point du Texte Libre, la discussion s’est orientée sur l’histoire.

J’ai placé mon pavé pour provoquer des réactions et cette fois ça a démarré parce qu’il y avait des Inspecteurs Primaires,

Nous avons abordé l'enseignement de l'histoire dans son fond éducatif et non plus dans son côté pittoresque.

Chez Yvin, le 17 janvier, nous aurons l'après-midi : la coopération : organisation et surtout, comment créer un climat de confiance.

S'il y a des camarades en nombre nous pouvons faire un travail fructueux. Il faut sortir des techniques. Il faut approfondir la pensée.

Et là, j'ai un petit reproche à vous faire. Dans un des derniers EDUCATEUR (1) vous avez dit que les techniques Freinet ne donnaient pas plus de travail que les autres. Je pense que pour un jeune, cela n'est pas possible.

La mise au point des techniques, ne demande peut-être pas un travail trop long, mais la pensée ne s’assimile pas si rapidement.

Quand j'ai démarré, j'ai travaillé un an au rythme minuit-6 h. J’ai mis les techniques au point rapidement, grâce à un travail profond de recherche et j'ai pu approfondir votre pensée.

Même si à l'Ecole Normale, vos techniques étaient étudiées à fond il resterait l'étude de la pensée qui, elle, nécessite un travail quotidien de méditation.

Or, dans les méthodes traditionnelles, on se contente d'enseigner. Pas besoin de se creuser la tête. Nous avons, nous, un autre but.

Alain disait « je pense avec ma plume », je crois qu'il en est de même chez moi. Tout ce que j'ai dit, doit être terriblement décousu. Je ne suis pas un littéraire et j'ai horreur d'écrire des articles. J'aime bavarder au fil de la pensée, cela me défend et m'aide à méditer. Je pense maintenant avoir trouvé une des raisons pour lesquelles les TECHNIQUES FREINET sont en passe de prendre le pas sur l'esprit.

Elle est simple.

Le noyau actif de l'Ecole Moderne est formé d'hommes et de femmes pour lesquels l'Education est primordiale. Ils ne sont pas seulement des « instructeurs » mais aussi des éducateurs. .

Beaucoup de vos techniques ont un double but : EDUQUER et INSTRUIRE.

Ceux qui ont saisi votre pensée, ceux qui s’en sont profondément imprégné, exploitent vos techniques sous cette double projection.

Ils donnent ainsi des connaissances aux enfants et ce qui est plus important, ils forment leur personnalité ou ils les aident à forger leur personnalité.

Le travail de propagande que nous avons intensifié a amené à nous des instituteurs qui n'arrivaient plus à rien avec les méthodes traditionnelles, des instituteurs qui avaient pris conscience du déphasage de ces méthodes avec des enfants totalement différents.

Qu'ont-ils vu dans ces techniques?

L’aspect instruction.

Ils ont vu qu'avec vos techniques ils pourraient redonner goût au travail à des enfants qui ne s’y intéressaient plus que médiocrement. Ils ont trouvé une manière intelligente de faire acquérir des connaissances (cela est déjà un progrès).

La correspondance, le texte libre, motiveraient l'apprentissage de la langue française.

La coopérative, les échanges, motiveraient l'apprentissage du calcul mécanique. Pour ces apprentissages ils trouveraient des fichiers et des cahiers autocorrectifs éducatifs (car le travail personnel est éducatif) et pratiques.

S’ils appliquent bien tout cela, la vie entrera dans la classe, mais l’aspect technique sera demeuré primordial pour eux. Ils seront passés à côté de l'aspect éducatif, de l’aspect formatif de vos techniques, car ils appliqueront trop mécaniquement et feront des erreurs qui scolastiseront. Ils ne verront plus que l’aspect extérieur par exemple du texte libre.

Ce texte libre, même au CE, sera une narration d’événements vus, vécus parfois, mais où l’enfant ne s'engagera plus profondément. A travers ce texte libre, ils ne verront plus la possibilité d’entrer dans l'enfant, de le connaître pour l’aider, de lui permettre de se libérer.

Il en sera un peu comme de la méthode mixte en lecture où l'on partira d'un départ global pour revenir rapidement à la vieille méthode syllabique.

On aura détruit la valeur de la globalisation.

J’arrive mal à préciser ce que je veux exprimer. Je crains fort que même dans les 20 % beaucoup font prédominer les techniques sur l’esprit. Cela vient aussi de la haute valeur des techniques.

J’en reviens à votre article (1) sur le fait que les TECHNIQUES FREINET ne demandent pas plus de travail. Cela peut nous amener des partisans de la nouveauté qui verront dans les TECHNIQUES FREINET une méthode plus agréable et qui ne leur donnera pas plus de travail. Ceux-là commettraient des erreurs qu’il sera difficile de récupérer ensuite, tant il est vrai qu’une réussite ne fait jamais oublier un échec.

Il faut maintenant se poser le problème afin de nous ouvrir la route pour notre tâche,


Je me suis engagé à fond, vous le savez. J’ai lancé quelques offensives d’envergure cette année dans plusieurs directions.

Celle vers les IDEP est fructueuse. Je crois que de ce côté il y aura moins de danger car eux comprendront la pensée et s’y accrocheront. Et de toute façon leur compréhension permettra aux jeunes camarades qui aiment leur métier et sont décidés à devenir des éducateurs, de travailler en sécurité.

Je viens de lancer vers les classes de perfectionnement ; là, nous touchons des gens qui ont déjà conscience de l'importance de l'éducation (peut-être suis- je en train de me faire beaucoup d’illusions?).

Si je me fais des illusions, alors cela risque d'être néfaste. Ils adopteront peut-être le texte libre, les fichiers etc... et ils ne comprendront rien à ce que vous avez voulu réaliser par vos techniques.

J'entreprends une offensive pour faire connaître notre matériel et nos éditions avec notre libraire.

Dois-je poursuivre ou stopper?

En un mot :

1° - le mouvement de l’Ecole Moderne doit-il être un mouvement des pionniers de l'Education, un mouvement des travailleurs d’avant-garde de la pédagogie, un mouvement pur dont vous pourrez être sûr qu’il ne dérogera pas à l'esprit de vos techniques, ou

2° - devons-nous faire connaître le plus possible vos techniques au risque d'entraîner avec nous, des collègues qui ne verront que la pratique et non pas l'esprit.

Nos techniques gagnent du terrain car nous voulons qu’il en soit ainsi, (j’ai obtenu une page pédagogique régulière dans le bulletin syndical, page où je me proposais de traiter de techniques pouvant servir à tous. Il me fallait toucher par ce côté, avant d'attaquer du côté esprit).

Nos techniques gagnent :

Est-ce un bien?

Est-ce un mal?

Le texte libre est pratiqué dans beaucoup de classes, mal en général. Mais nous avons perdu tout pouvoir de contrôle sur lui. Il y a le texte libre des militants de I'ECOLE MODERNE, qui a gardé sa pureté et il y a le texte libre de l’Ecole traditionnelle.

Je pensais que l’introduction de vos techniques dans une classe en bouleversait radicalement l’esprit. Je me basais sur mon expérience personnelle. Votre discussion de Cannes semble montrer que si un bouleversement a lieu, il ne touche pas suffisamment, dans certains cas, à l’esprit du travail.

Je ne suis pas d'accord avec le camarade qui demande la suppression des discussions psychologiques et philosophiques. Au contraire, c'est de là que j'attends le salut, car elles obligent ceux qui veulent y participer à s'élever au-dessus des problèmes pratiques. Il nous faut de vastes débats, des colloques nombreux qui arrivent à transformer l'esprit de toute l'éducation. Nous n’avons pas à nous adapter à l'Ecole traditionnelle, mais à lui transformer l’esprit. Pour cela, l'aide des psychologues et des philosophes, nous sera précieuse.

Demain je me dirai : « A quoi bon écrire, d'autres diront mieux que toi ce qu'il y a à faire». Mais nous sommes tous dans le même bateau et s'il faut remonter la pente, je veux pousser avec les camarades.

En résumé :

1° - Pour la question de la liberté :

Une fiche-guide pour les maîtres (fiche à adapter aux différents âge des enfants).

feu vert 1. - Ce que vous devez laisser faire aux enfants pour leur permettre un développement normal de leur personnalité. Quelle doit-être votre attitude.

feu orange 2. - Ce que vous pouvez tolérer momentanément mais à condition de demeurer maître de la situation.

feu rouge 3. - Ce que vous ne devez jamais tolérer.

2° - Pour faire retrouver l’esprit : encourager à lire ; organiser des discussions sur des thèmes psychologiques et philosophiques ; continuer l’action entreprise par TECHNIQUES DE VIE.

3° - Problème. Continuer la diffusion intense de nos techniques, de notre matériel, de nos éditions au risque de perdre le contrôle des techniques. Ou demeurer un mouvement d’avant-garde, ne recrutant que les meilleurs travailleurs.

J’ai été très long et je n'aurai peut-être présenté qu'une partie de ma pensée.

En tous cas, je continue mon travail intensif pour faire comprendre les techniques Freinet.

L’exemple des six normaliennes, stagiaires ici, montre qu’elles ont compris l’esprit avant de connaître les techniques.

Pourquoi?

Parce qu'elles ont vu vivre des classes Freinet.

Je crois que tout dépend du biais par lequel on vient aux TECHNIQUES FREINET.

Si on y vient après avoir vu une classe au travail, une classe où l'esprit est prépondérant, alors on fait partie de ceux qui ont compris, de ceux qui, même s’ils ne peuvent faire demain que 20 % des TECHNIQUES FREINET, auront quand même l’esprit.

Si on y vient après avoir été touché par un prospectus, par une BT, par un fichier, alors, je crois que c’est différent.

Il y a dans les TECHNIQUES FREINET deux zones, deux catégories :

— les techniques à caractère éducatif,

— les techniques à caractère pratique.

Dans la première je mettrais le texte libre, l'expérimentation personnelle et les techniques de libre expression.

Dans la deuxième, les fichiers, les BT, le fichier documentation, les fiches-guides.

Si on est touché par les techniques de libre-expression et c’est mon cas, on est beaucoup plus sensible à l'esprit.

C'est sûrement le cas des maîtresses maternelles et des petites classes en général.

A partir du CE2 jusqu'au CEG, il est possible que les maîtres soient plus portés sur les techniques de la deuxième catégorie :

Fichiers, conférences, fiches-guides et soient moins sensibles à la libre expression.

Qu’en pensez-vous?

J. LE GAL

Notre camarade Le Gal présente excellemment les problèmes dont la discussion nous parait urgente. Il le fait avec son expérience personnelle à laquelle tout éducateur sera sensible.

Et il le fait en posant un certain nombre de questions qu’il nous faut discuter, ce qui ne nous empêche pas de faire progresser au mieux l’aménagement technique de nos classes.

1° - Le problème de la liberté qui est trop souvent très mal interprété par nos nouveaux adhérents. Le réflexe est un peu naturel de ceux qui trop longtemps contenus et limités, veulent explorer librement. J'ai dit quelque part que ce mot de liberté, le plus prestigieux qui soit, suscite tant d’incompréhension et d'exagérations qu’on est arrivé à justifier arbitrairement toutes les restrictions à cette liberté.

Je préfère ne jamais parler de liberté, mais d’organisation du travail. Si les élèves peuvent se passionner au maximum pour leur œuvre, tous les problèmes de discipline et de liberté deviennent inutiles.

Organisez le travail vivant et humain. Vos enfants ne vous demanderont pas autre chose.

2.° - Organiser la classe, oui, mais pas formellement, en fonction du travail et de la vie du groupe. Devrons-nous établir un projet de règlement ? Je suis sceptique : une excellente organisation peut être déplorable si l’esprit qui l’anime reste traditionnel.

3° - La vraie solution, oui, c’est que nos adhérents acquièrent le plus vite et le plus profondément possible l'esprit de notre pédagogie. C’est essentiel, et Le Gal dit à ce sujet d'excellentes choses.

4° - Le mouvement de l’Ecole Moderne doit-il être un mouvement de purs, qui constituent une élite d’avant-garde capable de maintenir la ligne ? Ou devons-nous faire du recrutement ?

Bien sûr, il est difficile de scinder radicalement en deux nos possibilités de progrès. Mais l'expérience de ces dernières années, m'incline à penser qu'il y a un très grave danger à susciter l'expansion de nos techniques vers des éducateurs et des groupes qui n'ont pas compris nos techniques et qui risquent donc d'en déformer l'emploi. Nous y risquons la scolastisation plus ou moins poussée de ces techniques, et a assez brève échéance, notre décadence et notre mort.

Il faut que nous fassions naître, que nous développions au maximum, des écoles-pilotes qui montreront à tous, comment employer nos techniques, dans quel but et quel esprit. Ce n'est pas du tout restreindre notre expérience. C'est lui donner et lui garder le maximum de chances de succès.

La quantité, le nombre, oui, à condition qu'ils soient de qualité, ou des espoirs de qualité. Sinon nous attendrons patiemment que se fasse à une plus grande échelle l'indispensable apprentissage.

5° - Et enfin, ai-je tort de soutenir que les TECHNIQUES FREINET ne demandent pas plus de travail que les méthodes traditionnelles ? En osant cette comparaison, nous ne considérons bien entendu que les instituteurs consciencieux pour qui les buts sont les nôtres : former l'homme en l'enfant. Je pense aux institutrices d'école à classe unique, à celles des maternelles, des classes de perfectionnement, aux écoles de villes où les maîtres s'usent physiquement et moralement parce que nul ne les aide à faire face à un problème insoluble.

J'affirme que si ces instituteurs ou institutrices étaient initiés, comme nous le souhaitons, à nos techniques, si les conditions matérielles et techniques leur rendaient possible la pratique de notre pédagogie, ils y auraient certainement moins de peine parce qu'ils retrouveraient la vie.

Ceci dit, je souhaite que nombreux soient les jeunes qui sauront œuvrer courageusement et intelligemment pour que nos rêves deviennent réalités. Alors ils seront dignes de continuer notre œuvre, et ce sera notre meilleure récompense.

Il faut que vous lisiez :

ESSAI DE PSYCHOLOGIE SENSIBLE APPLIQUEE A L'EDUCATION ;

L'EDUCATION DU TRAVAIL;

LES DITS DE MATHIEU;

NAISSANCE D'UNE PEDAGOGIE POPULAIRE;

Les livres de la BIBLIOTHEQUE DE L’ECOLE MODERNE

L'EDUCATEUR et TECHNIQUES DE VIE.

(1) Educateur n°4 p. 5 - (15 nov. 1962)

La discussion du thème de notre Congrès 1963 - Les Techniques audio-visuelles

Janvier 1963

serons-nous servis ou au contraire asservis par les techniques audio-visuelles ?

Elles sont à la mode théoriquement, ou du moins hors de l'Ecole. Cinéma, radio, télévision, photos, diapositives, même magnétophones, images de journaux et revues font maintenant partie de l’univers familier des adultes et des enfants. On peut dire que nous vivons à l’ère de l’audiovisuel, à tel point que nous risquons d’en être submergés et que nous avons souvent à chercher les moyens de nous en défendre plutôt que de nous en servir.

Selon nos principes de modernisation, c’est un non-sens de prétendre les ignorer. Elles s'imposent à nous. A nous de voir ce que nous pouvons en tirer pour une bonne éducation de nos enfants.

Et cela nous délimite déjà le champ de la discussion au Congrès :

— D’abord ce que sont les techniques audio-visuelles à l'Ecole et hors de l’Ecole. Avantages et dangers. Comment nous en défendre éventuellement.

— Et ensuite une partie constructive : comment utiliser les Techniques audio-visuelles pour une meilleure éducation?

Disons tout de suite que, comme pour tout ce qui touche à la modernisation de son équipement et de ses techniques, l’Ecole est terriblement en retard. Pratiquement elle en est restée au début du siècle. Pas de cinéma, ou presque, pas de télévision, bien peu de radio, magnétophone au stade expérimental. Et même lorsque le maître passe des vues fixes ou fait de la photo, ces techniques ne sont nullement intégrées au processus scolaire. On peut dire que les Techniques audio-visuelles n’ont pas encore pénétré à l’Ecole française.

Est-ce un bien ? Est-ce un mal ?

C’est ce que nous étudierons,

Dans quelle mesure la pédagogie est-elle influencée par les techniques audio-visuelles ?

Dans la préparation de cette étude dont les éléments majeurs paraîtront dans une BEM qui sortira avant le Congrès, j’introduirai la discussion.

1° - L’OCCE a bien voulu se charger de mener nationalement une enquête pour connaître, pour chacune des Techniques envisagées :

— les conditions d'acquisition

— l'usage pédagogique

— l'utilisation récréative

— les difficultés rencontrées.

Il sera fait compte rendu au Congrès, mais nous savons d'avance que l’apport de ces Techniques reste bien maigre.

2° - Dufour et le groupe de l'Oise feront le point de l’utilisation de ces techniques pour l’Ecole et la post-école.

Ecrire: Dufour, Aux Marais par Beauvais (Oise).

3° - Faligand traitera plus spécialement de la TV scolaire et des disques. Ecrire : 74, rue Sébastien-Mercier, Paris XVième.

4° - Guérin et Dufour (et la commission BETA), traiteront de tout ce qui se rapporte au magnétophone, aux échanges, à la connaissance des langues et à la TV.

Dans ce domaine, nous sommes nettement en avant-garde et ce que nous avons réalisé va peu à peu se généralisant dans la masse des écoles. (Ecrire: Guérin, BP 14, Ste-Savine Aube).

5° - Pellissier, Ecole de Vénérieu par St-Hilaire de Brens (Isère) et Brillouet, La Vallée par Beurlay (Ch.-Mm-), traiteront de la photo dans l'enseignement.

6° - Ueberschlag ( IP à Weissembourg, Bas-Rhin ), fera pour nous le point de ce qui est réalisé dans ce domaine dans les divers pays.

70 - Jaegly (IP, 8, rue DT Calmette à Lille, Nord), nous apportera le résultat d'expériences qu'il a faites au Tchad.

8° - Je concluerai en disant l'avenir possible de l'utilisation des Techniques audio-visuelles dans notre enseignement modernisé et dans quelle mesure nous pourrions mettre au point une méthode valable pour les pays sous-développés.

Nous demandons aux camarades intéressés à une ou plusieurs de ces questions, ou qui possèdent des documents qu’ils jugent utiles de vouloir bien les faire parvenir aux responsables ci-dessus.

La discussion de ce thème au Congrès occupera les deux premières séances plénières ; la troisième sera consacrée à la suite, escamotée au Congrès de Caen, de l'étude sur l’enseignement des sciences.

Nous en parlerons dans notre prochain numéro.

 

Laissez venir à lui-même, l'enfant ...

Janvier 1963

Continuons notre conversation.

— Je comprends que je me trouve, en français, là où je me trouvais, il y a treize ans, quand je débutais en dessin. A ce moment-là, je n'obtenais que de « l'étriqué », du « pompier ». Pour démarrer, il a bien fallu que je donne ma part du maître. Grâce aux conseils d’Elise, cela n'a pas été trop difficile. Et je n'ai eu à le faire qu’une seule fois. En effet, dans nos classes à plusieurs cours, la bonne atmosphère se transmet d'année en année. Mieux même, elle s'améliore. C'est ainsi que, maintenant, quelle que soit l'origine des nouvelles élèves, elles deviennent créatrices en moins de deux mois.

Mais, en français, je n'ai pas d’ambiance.

— Tu le sens bien, c'est là une question essentielle. Il faut lancer l’enfant, c'est vrai, mais il est évident qu'il s'arrêtera, s'il rencontre des obstacles à son épanouissement.

Il faut également favoriser les premiers pas du groupe-classe. Quand un enfant, un autre, puis un autre, se détachant de leur maison de silence, quittent leur position de repli, c'est la classe entière qui en bénéficie. L’exemple est contagieux et les arrivées à la liberté se succèdent suivant la fonction y — a x 2.

Examinons d’un peu plus près ce problème.

Dans notre petite classe, il s'agit surtout d’offrir à l'enfant un nouveau langage. Quand il nous arrive au C.P., il n'est pas neuf, car il a six années d'expérience, Il sait déjà beaucoup de choses. En particulier, il possède assez bien le langage parlé, le langage graphique... Il faut maintenant le doter du langage écrit.

Evidemment, c’est en écrivant qu'on apprend à écrire. Mais l'enfant ne pourra posséder rapidement le nouvel outil que s’il s'engage à fond, Et il le fera seulement s’il peut exprimer ses propres pensées. Car, c'est en enfonçant de vraies pointes dans du vrai bois pour fabriquer de vrais objets que l'on domine le marteau. Et c'est en travaillant avec des idées véritables que l’on apprend à les maîtriser. Il devrait être révolu le temps où l'on accumulait des tonnes et des tonnes de matériaux sur le chantier (grammaire, analyse, conjugaison, vocabulaire, imitation de phrases...) sans jamais commencer la construction.

Donc, au CP, après un certain rodage, l'enfant écrira des textes relatant les faits de la vie courante : les textes vrais. Au CE1, il est temps de lui offrir d’autres pistes. En effet, il ignore la texture de sa personnalité. Sait-il que c'est grâce à la fable, à la poésie, à la fantaisie ou à la philosophie qu’il prendra un jour, la tête du peloton? Sait-il qu'il aime le rythme, la géométrie du langage? Sait-il que des associations telle que : petit ami, petit tamis ; chardonneret, jardin doré, peuvent le ravir? Sait-il qu'il peut y avoir un plaisir de la forme et un plaisir du fond? Non, il ne le sait pas. Et personne ne le sait pour lui. Mais il peut en avoir la révélation, Cela suppose évidemment que soient réalisées certaines conditions.

En effet si, comme chez toi, la route des textes narratifs existe seule :

— Hier, j'ai joué avec mon frère,

— Hier, j'ai vu un tracteur.

Alors, les enfants iront à la queue- leu-leu dans l'étroit sentier. Et les personnalités se dissoudront dans le groupe. Par contre, si le front de marche est vaste, si chacun peut choisir son chemin dans la montagne, les moissons de fleurs seront magnifiques.

Pour cela, il faut un bon climat de classe. Pour commencer, il faut rompre, à tout prix, le cercle fatal de l’ennui, de la médiocrité, du nivellement, de l'écrasement, de la mort de toute pensée. Le maître doit prendre sa part, c’est lui qui doit apporter la brisure.

— Mais, pour cela, ne faut-il pas que le maître soit libre lui-même? Et, dans les circonstances actuelles, n’est-ce pas ce qui est le plus difficile? A peine débarque-t-on dans l’île Liliput de l’enseignement que l’on se trouve garrotté de mille petits liens.

— C'est vrai, il y a là encore, du pain sur la planche pour l’Ecole Moderne. Mais revenons, si tu le veux, au problème de l'installation de la liberté dans une classe.

Peut-elle surgir de l'intérieur? A mon avis, oui ; si le maître sait prêter l’oreille, s’il sait faire attention à l’enfant. C'est surtout à l’arriéré, à l'anormal qu'il faut prendre garde. Car, c'est lui l'enfant le plus libre, parce qu'il éprouve, moins que les autres, le besoin de porter un masque.

Pour l'enfant une culture de l’enfant

L’introduction de nouvelles formes de pensée dans la classe est également un bon moyen. Chez moi, elles entrent par la porte du CP. Lorsque les enfants abordent les livrets, les gerbes, les albums, c’est toute la classe qui s'imprégne de Ninine, la Guerre, le Breezand etc... A ce sujet, je crois qu'un livre de lecture de textes d'enfants rendrait également service.

Il est bon que les enfants baignent dans une culture enfantine directement assimilable. Elle permet souvent le démarrage, Pour te le prouver, je vais te donner un exemple personnel :

Un matin, Yann, petit garçon de huit ans, m’apporte un texte impeccable. A la récréation, son frère m'apprend que c'est un texte de la Gerbe Enfantine. Alors, je félicite Yann pour son bon goût.

— Tu trouves cela joli, moi aussi. Mais, ce qui est encore plus beau pour moi, ce qui est le plus précieux, c’est ce que tu écris tout seul, toi, Yann ; c'est ce que tu penses, ce que tu dis. Tu vois, tu ne savais pas encore cela.

Maintenant, il le sait et toute la classe le sait. Mais, pour Jean-Yves (8 ans), la morale de l’histoire c'est qu’il y avait accord sur la beauté du texte de la Gerbe. Aussi, sans toutefois le copier, il s'en inspire pour écrire son premier texte vraiment personnel, son premier texte non circonstancié. Pour cela, il utilise la formule d'introduction. Voici ce que cela donne.

— Moi j’adore les pigeons qui se planent au-dessus du grillage, et les oiseaux sont contents de voir les pigeons se planer.

Alors, les jours suivants, toute la classe se met au Moi, j’adore. Puis, Jean-Yves trouve une nouvelle forme : « Je vois dans ma tête », puis une autre, puis une autre. Si bien que chacun, pour imiter cet inventeur, se met à inventer des textes. Et c'est ainsi que chacun, trouve son langage. Cette année, cela a encore été plus vite. Et quelle variété de thèmes, quelle imagination, quel degré de liberté ! Certains enfants alternent, texte reportage et texte inventé, tandis que d'autres, depuis le début de l'année, jouent avec leurs papillons, leurs reines et leurs petits poissons. Voici d'ailleurs trois textes récents de Martial :

«Ce matin, en venant à l'école, nous étions des mages : nous avons suivi l'étoile. Avec mon doigt je lui faisais signe de venir et Guillou riait ».

«Mon cœur saute comme un grillon. Il fait tic ! tac ! comme un petit moulin. Le grillon marche dans l’herbe. Il va chercher le lait ».

« Je vois dans ma tête, mon cœur qui fait des marionnettes. Il court sur la route. Il va dans les voitures et les camions».

— C'est vrai, il y a chez l'enfant, tant de choses que l'adulte ne saurait inventer. En dessin, par exemple, je me suis longtemps figuré qu'il fallait offrir les paysages, puis les personnages, le décoratif etc... Je voyais ça avec mes yeux d'adultes. Mais c'était, là encore, de la persécution. Heureusement, j'ai appris à laisser l'enfant aller son chemin. Et, dans un milieu favorable, il va très loin. C'est h cette liberté que je dois mes petits émerveillements.

Alors, en français aussi, je vais essayer. Car j'ai faim pour lui et faim pour nous.

— Oui, tu as raison, il faut avoir immensément faim.

P. Le Bohec

 

 

NOTRE CAMARADE HETZEL, DU TARN-ET- GARONNE, OBJECTEUR DE CONSCIENCE, SE CONSTITUE PRISONNIER

Janvier 1963

NOTRE CAMARADE HETZEL, DU TARN-ET- GARONNE, OBJECTEUR DE CONSCIENCE, SE CONSTITUE PRISONNIER

Ce sont les journaux qui l'annoncent :

« J.J. Hetzel, qui milite en faveur d'un statut des objecteurs de conscience, vient de passer deux mois comme enseignant dans les rangs du Service Civil International.

Les manifestants, parmi lesquels la jeune femme de J.J. Hetzel, ont accompagné celui-ci jusqu’à la porte de la caserne de gendarmerie, portant une banderole réclamant un statut pour les objecteurs de conscience ».

Il n'y a pas trop de nos jours, d’exemples exaltants de courage civique et de courage tout court pour que nous ne disions pas à Hetzel et à sa compagne que nous sommes fiers d'eux, et que nous les aiderons de notre mieux à supporter l'erreur des gouvernants qui croient tuer l'esprit.

C.F.

L'ART au congrès de Niort ...... et des BT sur l'Art

Janvier 1963

 

DES TECHNIOUES D'EXPRESSION (suite)

Janvier 1963

 

Les Plans de Travail

Janvier 1963

 

VIsite d'une classe - Groupe départemental de Loire-Atlantique

Janvier 1963

 

Discipline et journal mural

Janvier 1963

Pour éviter autant que possible la sclérose de notre pédagogie, je donnerai dans chaque numéro sous cette rubrique mon opinion sur la conception technique de nos camarades. Nos lecteurs pourront d'ailleurs donner en réponse leur point de vue.

Le bulletin de liaison de notre Commission de classes de Perfectionnement et maisons d’enfants (déc. 62) donne un intéressant résumé du cahier de roulement consacré à : Coopérative et Discipline du Travail en classe de perfectionnement.

Voyons plus particulièrement ce qui se rapporte au Journal mural, qui, disent les rapporteurs, « a été abandonné par la majorité des collègues de classe de perfectionnement ».

Les raisons données me montrent que le but et l'emploi de ce journal mural n'a pas été compris, et que donc l’échec est inévitable.

Ces camarades disent le remplacer par la Boîte à questions. Or, ce sont deux choses totalement différentes qui peuvent d'ailleurs cohabiter sans faire double emploi. Par la Boîte à questions l’enfant pose des questions de connaissances et de travail. Par le journal mural c'est le comportement scolaire et social qui est en jeu et dont on discute profondément.

« Pas de journal mural classique avec feuillets Félicitations, critiques, suggestions. Si ce qu'ils ont à dire est important, ils s’en souviendront ; s'ils ne s'en souviennent pas c'est que ça ne l'était pas ».

C'est pour cela que nous, adultes, quand nous affrontons une discussion, avons le soin de rédiger au préalable, sur un aide-mémoire, les points à discuter.

Sans le journal mural, les enfants n'auront évidemment rien à discuter, sinon ce qui s'est passé quelques instants avant. Avec le journal mural, il y en aura toujours trop.

« L'utilisation du journal mural, permet la dictature des lettrés et le blocage des illettrés ».

Evidemment, mais ceux qui ne savent pas écrire peuvent se faire remplacer par un autre élève ou par la maîtresse. Et ils ne s'en privent pas !

« J'ai tenté pendant deux ans le journal mural sous la forme préconisée. J'ai remarqué que peu de constructif se dégageait de celui-ci. Il faudrait qu'il soit surtout le porte-parole des désirs des enfants et que l’on y voie écrit ce qu'elles désireraient voir dans la classe et qu'elles n'osent demander tout haut. Mais il faudrait s'abstenir de juger ».

Non, le journal mural n’est pas fait pour qu'on y inscrive ce qu'on désirerait voir dans la classe. Il faut aller plus loin, plus profond, plus sensible. Ce sont tous les aspects de la vie de la petite communauté dont il faut discuter ensemble.

Et j'ai bien précisé dans ma BEM(1) qu’en aucun cas le journal mural et sa lecture en réunion de coopérative ne sont là pour juger et sanctionner. Il s'agit plutôt de chercher ensemble les solutions techniques et affectives qui peuvent corriger les erreurs intervenues dans la vie de la communauté. Ni juge, ni règle, ni loi. Il faut que les enfants prennent conscience des problèmes qui s'imposent à eux. Cela ressortit plus de la psychanalyse que de l'éducation habituelle.

Nous en usons depuis de nombreuses années à l'Ecole Freinet. Nous trouvons que rien n'est plus efficient pour les petits et les enfants difficiles. Je serais heureux que d'autres camarades me disent ce qu'ils en pensent.

Mais nous voyons là le danger que nous signalions dans notre dernier numéro, de camarades qui emploient nos techniques à leur façon et non pour l'usage pour lequel elles ont été conçues, et qui concluent que cela n'a pas fonctionné.

La même synthèse examine le cas de la discipline en classe de perfectionnement. Elle conclue ici aussi que l'éducation du travail n'est pas suffisante.

D'abord, avez-vous beaucoup d'autres recours? Le propre des enfants difficiles ou retardés c'est qu'ils ne veulent pas ou ne peuvent pas obéir. La sanction peut dans certains cas, avec des élèves normaux, produire un effet, ne serait-ce que passager. Avec les enfants difficiles, toute punition manque totalement son but et ne fait qu’aggraver le mal. Ces enfants sont rebelles au dressage. C'est sans doute parce qu'ils s'en rendent compte que les éducateurs de ces classes cherchent d'autres solutions.

Vous dites que l'Education du travail n'est pas suffisante. Mais l’avez-vous vraiment pratiquée? Avez-vous dans votre classe une grande gamme d’outils et de techniques? Ou là aussi ne faites-vous pas un ersatz d’éducation du travail?

En tout cas c’est dans cette voie qu’il faut nous orienter. Il n'y en a pas d’autres.

« Il semble, dit le camarade en conclusion, que ce qui réussit chez l’un échoue chez l'autre ». Attention, ne nous engageons pas dans cette voie car alors il n'y aura plus de recherche possible. C’est ce qu'on nous a toujours dit : il n'y a ni méthode, ni technique. Tout dépend du maître.

Nous ne nions certes pas l’importance prépondérante de la part du maître, mais nous disons aussi qu’il y a des techniques de travail qui sont mieux à la mesure des enfants et dont tout éducateur usera avec profit. Hors de là il ne saurait y avoir de progrès pédagogique.

C.F.

( 1 ) Voir BEM n° 5 Education morale et civique.

 

LES FICHES - GUIDES de l'école moderne

Janvier 1963