L'Educateur n°4 - année 1963-1964

Novembre 1963

Boites enseignantes et programmation (suite II)

Novembre 1963

Une idée pédagogique grosse d’avenir

Dans notre dernier numéro, nous avons donné quelques exemples de programmation dont les avantages sont évidents. Il ne fait pas de doute que le problème que nous avons programmé est beaucoup plus facile à résoudre que sous sa forme embrouillée initiale. Et l’on comprend aussi que l'enfant soutenu et guidé par sa bande dans l’examen d'une BT avance plus facilement sans obstacle et sans échec.

Nous sommes en présence d'une idée pédagogique nouvelle qui, comme l'expression libre, la correspondance, l’imprimerie et l’autocorrection est grosse de possibilités pédagogiques qu'il nous appartient de cultiver et d'exploiter.

Essayons d'analyser cette idée, d'en détecter avantages et inconvénients, sans tenir compte pour l'instant des expériences menées à ce jour et qui ne sont encore que des approches dans la vaste expérience en cours.

Une technique défaillante ne condamne pas forcément l’idée. Elle nécessite seulement de nouveaux essais pour mieux servir cette idée.

Programmation est fille d'automation. Tant qu'il s’agissait seulement d'enfants à éduquer ou à conditionner, l'éducation traditionnelle faisait un fond trop exclusif sur l'explication et la compréhension apparemment souveraines.

« Expliquez, démontrez, faites apprendre » répétait-on aux éducateurs. Et ceux-ci répétaient à leur tour à leurs élèves :

« Mais comprends donc, essaie d’expliquer, raisonne, répète, recommence... »

Le tourment de l'éducateur est de répéter sans cesse à son petit monde : « Comprends, explique, raisonne... » Et comme les enfants ne parviennent pas mieux à comprendre et à expliquer, on réexplique soi-même, on fait répéter, on fait refaire. Désabusé, on accuse l’écolier de ne pas comprendre, de ne pas faire effort, d’être paresseux et inintelligent : « bouché à l’émeri » se plaignaient les vieux maîtres. Et lorsqu'on a exhorté, menacé, récompensé ou puni, invectivé, on n’a pas avancé d’un pas. L’élève n’a pas compris davantage. On se contente alors parce qu’on ne peut faire plus, d'une réponse toute verbale qui ne signifie rien, qui n’est qu’un trompe l’oeil impuissant à servir de base aux progrès présents et à venir.

Toutes les difficultés de l’école, le climat autoritaire qui y règne, l’obligation où l’on est de pousser sans cesse des enfants qui ne peuvent pas avancer, le découragement et la colère que nous vaut cette impasse constituent sans doute un des plus graves handicaps connus actuellement.

Et pourtant, diront les maîtres inquiets, il faut bien les aiguillonner, essayer de leur faire comprendre ce qu’ils ne saisissent pas spontanément, les obliger à faire fonctionner leur mémoire et leur intelligence, les entraîner à réfléchir...

Souci vain ! On ne fait pas ainsi avancer d’un pas la formation de l’enfant.

Nous avons connu ces difficultés qui sont encore le lot de tant de collègues, pour le premier apprentissage de la langue. Quand vous aviez bien expliqué à un enfant en quoi ai diffère de ou, et pourquoi a et n font an et non na, vous vous croyiez satisfait. Vous faisiez une épreuve : a et n c’était toujours na. Alors vous grondiez, vous vous mettiez en colère et vous punissiez.

Dès ce moment-là l’esprit de l’enfant se bloquait définitivement comme se bloquait votre propre bon sens. C’était une situation sans issue.

Par la méthode naturelle, nous avons déjà ouvert une autre voie. Nous avons réduit à l’extrême les explications. Nous avons seulement permis et préparé le tâtonnement expérimental qui se fait sans devoirs ni leçons, à même la vie. Nous n'avons plus ni expliqué ni démontré. Nous avons reposé notre gorge et apaisé le climat de la classe. Et les enfants ont compris, bien mieux qu’avec les anciennes techniques qu’il y avait enfin quelque chose de changé.

Faire effort !

Mais alors, nous dit-on, les enfants ne feront plus effort ; ils se laisseront vivre et glisseront chaque jour un peu plus vers la facilité qui est l’opposé de la culture !... Voyez déjà ce que nous vaut le laisser-aller dans le domaine du français et de l’orthographe ! Et que seraient un enseignement du calcul si l’enfant n'était plus engagé à faire effort pour résoudre ses problèmes, et un enseignement des sciences où il n’aurait plus à affronter la complexité contemporaine ?

Nous touchons là à une grave question de psychologie dont la solution va promouvoir, ou, au contraire, condamner la nouvelle pédagogie sans manuels, sans leçons, sans devoirs, sans grincements de dents et sans punitions.

Il est admis, dans toute la pédagogie traditionnelle, que le rendement scolaire est fonction des efforts faits par les élèves. Or, c’est là une idée fausse qu’il nous faudra reconsidérer radicalement.

« L'effort » est une création de l’école. Nous voulons dire cet effort qui consiste à faire ce qu’on n’a pas envie de faire et dont on ne voit pas le but ; qui est comme une tension anormale pour parvenir à un résultat hors nature.

Nous sommes exactement comme la machine qui chauffe quand quelque chose ne va pas dans son fonctionnement. On est contraint alors de l’arrêter de temps en temps pour la laisser refroidir avant de la remettre en marche pour des épreuves qui, tous les mécaniciens vous le diront, usent cent fois plus que le service régulier le plus prolongé.

Si l’enfant se fatigue, s’il doit serrer les dents pour poursuivre son travail, c'est que celui-ci est mal compris, qu’il comporte des épreuves au-dessus des possibilités de l'individu, en créant des à-coups ou des grippages qui susciteront des craintes, des échecs, des allergies, des troubles nerveux et jusqu'à des névroses.

Organisons notre travail plus rationnellement et nous n'aurons plus dans nos classes de fatigue nerveuse ou intellectuelle. C'est ce qui explique que les élèves des classes modernes terminent souvent leur travail pendant les récréations et que nos enfants s'accommodent fort bien, à l’Ecole Freinet, de trois heures de classe consécutives.

Nous sommes pourtant partisans de l'effort, mais d'une autre qualité : de l’effort qui est comme une conjonction harmonieuse — et de ce fait apaisante — de toutes les puissances de l’être, pour atteindre des buts dont il sent l’humaine nécessité ; de l'effort qui est concentration et exaltation de la Vie.

Ne fait-il pas effort, l'alpiniste qui part à l’assaut des cimes et qui, un pied après l’autre, conquiert des victoires surhumaines, fatigué physiologiquement peut- être, mais toujours prêt à recommencer, dans un équilibre nullement perturbé. Et ne peut-on envisager une école où dans la même atmosphère d’activité et d’incessantes conquêtes, chacun se donnerait à plein, héroïquement?

Travailler en chantant et en sifflant, heureux et détendu, est une sorte de crime pour l’école traditionnelle. L’école moderne est celle de la paix, de la joie au travail et du bonheur.

Programmation

On comprend fort mal tout cela à cause justement de l’erreur scolastique qui fausse le fonctionnement de notre tâche éducative.

On agit beaucoup plus rationnellement avec les animaux : les chiens par exemple. Comme ils ne sont pas sensibles à nos raisonnements intellectuels et à nos explications, nous sommes bien obligés de chercher d’autres voies pour tâcher de nous faire comprendre : par le geste, la caresse, ou l’aide familière.

Il en a été de même avec l’avènement des machines quand elles ont dû produire une opération complexe : nous aurions pu nous porter aux noeuds difficiles de l’opération pour expliquer la conduite à tenir. Peine perdue : la machine n’entend pas.

On a cherché alors un autre système pour que la machine soit en mesure de produire sans accroc et sans erreur. Ce système, c’est la programmation. On prépare un ordre logique des opérations, de telle façon que B soit possible après A sans intervention particulière de l’ouvrier.

L’ensemble des opérations doit conduire sans heurt, sans friction anormale et sans panne, au résultat prévu, qui seul importe.

L’essentiel après tout, dans toutes les opérations humaines, n'est-il pas le but à atteindre le plus parfaitement et dans les meilleures conditions possibles?

Or, la scolastique a méconnu et déplacé cette fin de l’éducation.

Dans la vie, l’enfant se déplace pour atteindre les objets qu'il convoite, remue la terre et arrose pour faire pousser les plantes qu’il a semées. La façon dont il travaille n’est que secondaire et dépendante directement du but à atteindre.

A l’école malheureusement, l’enfant n'est pas habilité à produire quoi que ce soit. On l'en juge foncièrement incapable. Alors on met seulement et systématiquement l'accent sur la portée des gestes et des exercices qu'il va être amené — de gré ou de force — à faire pour cultiver son intelligence, activer sa mémoire, aiguiser son bon sens, ou, plus prosaïquement, rester tranquille et obéissant.

Ce faisant, on procède comme le paysan qui labourerait non pour avoir une récolte, mais pour roder son motoculteur, entraîner son jeune mécanicien, et réaliser des performances compétitives, sans se préoccuper de savoir si le grain va germer, ou si seulement il a été semé.

Ajoutons à cela que la vieille tradition religieuse a ajouté encore au malentendu en disant au pauvre : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front », comme s’il était indispensable de s’éponger le front et de souffrir passivement pour parvenir à l'élargissement souhaité de la personnalité.

L'essentiel dans la vie, c’est de parvenir au but, sans souffrance inhibitrice, dans la ferveur et l'enthousiasme de la création et de la vie.

Contrairement à toutes les théories, pédagogiques, techniques et sociales qui découragent l'individu de l’action motivée et vivante, l’effort est naturel à l’homme, et à l’enfant tout particulièrement. C’est la société qui a monstrueusement cultivé en l'individu l'apathie et la crainte de l'effort.

Aucun enfant en bonne santé n'est paresseux. Proposez à votre troupe de partir en montagne, sac au dos, de gravir un pic, d'atteindre les sommets aux plantes rares, de monter vers la lumière et le soleil. Nul ne voudra rester en arrière. L’idéal pour l’enfant et la jeunesse est toujours en avant.

Nous conclurons cette troisième étude en précisant que, contrairement aux apparences, la programmation s'inscrit parfaitement dans les processus de formation, d'instruction et d’éducation. Elle est la piste qu'a, au long des jours, laborieusement tracée le guide, comblant les anfractuosités, jetant des ponts provisoires par-dessus les séracs, et découpant patiemment à coups de piolet, les escaliers de glace où pourront s’accrocher les alpinistes débutants dans leur ascension héroïque vers les sommets.

On ne cultive pas chez l’individu le besoin de monter par l'accumulation des difficultés, par les semonces et les échecs.

Si l'école était bien comprise, si nous savions ménager scientifiquement mais généreusement les étapes de l’accession vers la culture, nous n'aurions point à pousser mais à retenir les jeunes, à asseoir leurs arrières, assurer leur route, mettre de l’ordre dans les entreprises pour ne pas risquer les échecs et les accidents qui sont autant de défaites.

Avec eux, nous irions alors au bout du monde !

Nous formerions des robots?

Voici, pour dissiper votre crainte, un premier résultat dans notre école de Vence qui fonctionne cette année exclusivement par bandes enseignantes, autocorrectives et programmées, avec un matériel que nous avons réalisé nous-mêmes et qui est loin d’être techniquement satisfaisant. Telle quelle, cette pratique ne nous en a pas moins valu, déjà, un résultat précieux : les enfants ont, en permanence, un travail à leur mesure et qui, de ce fait, les intéresse. Nous réalisons vraiment l'école du travail.

C.F.

 

Une victoire

Le vendredi 18, il y avait Conférence Pédagogique à Vence et nos deux institutrices y étaient conviées.

Le Bureau de la Coopérative Scolaire s'est réuni et nous a demandé, au nom de tous les élèves, de le laisser prendre en mains, pendant toute la journée, la vie de l'école.

Je sais bien que ce n'est pas la première fois que se réalise semblable entreprise et nombreux sont les camarades qui nous signalent en cours d'année cet aboutissement de leur éducation formative.

Elle se réalisait chez nous un mois à peine après la rentrée, avec une bonne moitié d’élèves nouveaux non encore rodés à nos techniques, avec un certain nombre d'éléments difficiles qui, en d'autres temps auraient compromis nos entreprises similaires.

Grâce au Plan de Travail et aux activités par bandes qui avaient été soigneusement préparés, chaque élève savait ce qu’il avait à faire et le faisait sans avoir besoin d’un permanent recours à la maîtresse ou aux camarades.

Nous avons eu un modèle d’école au travail, où les enfants, délivrés des adultes, ont travaillé au maximum, dans une atmosphère d’ordre et de paix que nous n’avons jamais connue.

Pour nous, éducateurs, c'est là la plus solide de nos conquêtes. Nous la devons à nos techniques en général et aux bandes enseignantes en particulier.

Des camarades nous disent : « On n'y croit pas! » Evidemment, il faudrait voir. A défaut, nous vous expliquerons en détail la technique nouvelle.

Nous aborderons dans notre prochain article la technique même de la programmation : tout reste à faire.

C.F.

 

Les techniques parlées (suite)

Novembre 1963

suite de l'article " les techniques parlées "

... Les oiseaux pensaient à moi...

par P. Le Bohec


Le thème de l'amour

J’ai donc recueilli, à l'école des filles, cinq dessins qui pourraient être l'objet d'une séance de création littéraire orale collective. Je ne me suis pas trompé : les cinq textes sont vite établis. Au cours de cette séance, Loïc intervient fréquemment et sa contribution est très importante. Ce qui me surprend, c'est qu'il aborde continuellement le thème de l'amour.

Les fleurs se lèvent vers la princesse pour lui donner des baisers. Elle se croit dans un amour.

Cela fait même rire Philippe, et Loïc commence à se fâcher. Naturellement, je réagis immédiatement pour protéger sa liberté de dire.

— Tu sais, Philippe, on a le droit de dire tout ce qu'on veut. Et c'est très beau ce qu'il dit.

Pendant que je le défends, Loïc me regarde du coin de ses yeux de velours. II cherche sans doute à voir si je suis sincère, si je ne lui ai pas tendu un piège.

Mais l’affaire est trop grave pour que je puisse une seule seconde songer à me moquer. A ce propos, je puis dire que je me surprends moi-même. Dans la vie courante, j’éclate de rire pour mille petits riens. Mais dans la classe, je suis étrangement préservé. Je peux tenir mon sérieux à un point extrême. Et pourtant, si je voulais rire... Mais quand un enfant se livre vraiment, cela côtoie souvent le drame. Comment pourrait-on rire?

Cependant je ne prête pas outre mesure attention à ce leitmotiv de l’amour. Je ne m’en souviens qu’en février, lorsque je lis les quatre textes libres suivants :

Tous les jours, je m'amuse à rêver pour savoir que les oiseaux m'aiment. Et je serai content. Et les oiseaux me diront :

— Merci, mes enfants.

Les oiseaux pensaient à moi et je leur dis :

— C'est bien de penser à moi.

Tu rêves que je suis avec toi, oiseau?

— Non, je rêve que les enfants meurent.

Je pense dans la rue que les enfants crient autour de moi et je leur dis :

— Va-t-en.

Donc, le thème de l'amour réapparaît ; mais aussi, le désir de l'éloignement et de la mort des enfants.

Quatre textes semblables en sept jours, c’est tout de même bizarre. Aussitôt, je pense à un complexe de l’aîné. Je ne sais pas exactement s’il figure sous ce nom au bottin des complexes, mais je sais, par expérience, qu’il existe chez de nombreux enfants. Son apparition s’explique d’ailleurs aisément. Souvent, dans les familles, le premier-né, regardé, gâté, adulé par toute la parenté, surtout quand il est le premier petit-fils, se voit soudain relégué à l’arrière-plan, à la naissance d'un second enfant. Et, justement, cela s'était produit pour mon frère, pour ma femme, pour mon fils ; j’en ai donc une grande expérience.

Mais, dans le cas de Loïc, mon hypothèse est-elle juste? Pour le savoir, j'organise une séance de création orale à plusieurs. C’est une technique que j’utilisais beaucoup autrefois, pour la réalisation des albums. Lorsque trois ou quatre enfants avaient un thème commun, soit qu’ils aient été témoins d’un accident, d’un événement ou d’une aventure, ils venaient devant leurs camarades et racontaient leur histoire. Et puis, les autres les questionnaient.

Cette fois-ci, Michel vient d'avoir un petit frère. Alors tout naturellement, je puis proposer ce thème. Et c’est ainsi que six garçons-à-petit-frère viennent bavarder gentiment. Evidemment, je n’ai d'oreilles que pour le seul Loïc. Mais je ne décèle rien. Alors les enfants retournent à leur place. Soudain je dis :

— Qui est content d'avoir un petit frère ?

Sept mains se lèvent parce que Loïc lève les deux siennes. Mais, le temps de compter jusqu'à deux, il les rabaisse pour frapper violemment des poings sur la table en disant :

— Non, pas moi, le mien je l'emmènerai à la boucherie.

Tous les autres garçons se retournent vers lui, scandalisés. J’éprouve le besoin de détendre l'atmosphère :

— Loïc dit cela pour rire.

Mais celui-ci continue :

— Plutôt non, je le mettrai dans une cabane comme les lapins, je lui apporterai de l'herbe et quand il sera assez gros, tic!

Ainsi mon hypothèse reçoit une confirmation brutale. L’enfant éprouve un sentiment de haine pour son petit frère. Je suis un peu effrayé de l’intensité de cette révélation.

Le soir, je vais bavarder avec les parents, très gentils, très doux, qui me confirment l’existence d’une mésentente entre les deux frères. Ils m'apprennent que Loïc aime jouer seul, dans un coin du jardin ou dans l'atelier de son père, ou avec le petit frère de Philippe son camarade de classe.

Mais, dès que Pascal arrive, rien ne va plus. J’apprends aussi, avec stupéfaction que Loïc a commencé à bégayer exactement à la naissance du petit frère.

Mon « diagnostic » se trouve donc amplement corroboré.

Reste la thérapeutique. Existe-t-elle? Est-elle possible? Est-elle de mon ressort? Puis-je faire quelque chose?

Je n’ai que peu de moyens à ma disposition. Puisque Loïc se croit malaimé, il faudrait que je puisse lui apporter une petite compensation en classe. C'est ce que j’essaie de faire. Je lui parle souvent, je le cajole, je lui donne « en cachette » des petits riens qui sont pour lui des trésors.

Et puis, je recommande aux parents de témoigner encore plus d'affection à leur garçon qui pourtant n’est certainement pas mal-aimé.

En particulier, je recommande au père de mettre en pratique ce qui m’a si bien réussi, c’est-à-dire de suppléer un peu la mère, fatiguée et débordée de travail, sur le plan affectif.

Il suffît simplement pour cela de prêter une plus grande attention à l'enfant, de s’intéresser à ses bricolages, à ses projets, à ses journées. Il ne s'agit pas, bien sûr, de favoriser une « fixation » au père qui doit demander certainement une mise en oeuvre de moyens beaucoup plus puissants et l’intervention de gens très qualifiés, mais de donner un auditeur, un témoin à l’enfant, ou mieux, un recours subsidiaire.

Premiers progrès

Presque aussitôt, une amélioration se produit dans le comportement de l'enfant. Et même, à ce qu'il me semble, sur le plan de l’élocution. Mais pour moi, le plus surprenant, c’est qu’un nouvel équilibre se manifeste dans les textes libres.

Je les guette avec passion. Et en trois semaines, je ne puis déceler une seule trace d’inquiétude. Rien que des textes narratifs, si rares auparavant.

— Hier, on a joué aux électriciens et on est allé à la télé,

— Papa est allé à la pêche chercher des berniques.

— Hier, on a joué au foot.

Donc, des textes narratifs et un seul texte d'imagination.

— Où voles-tu, oiseau?

— Je vole dans le ciel.

— Dans quel ciel ?

— Je vole dans le ciel bleu.

Et après les vacances de Pâques, sur trente textes successifs, vingt-cinq textes « objectifs ». Quelle révélation !

Mais il ne faut pas que je brûle les étapes. En effet, je dois d'abord signaler que j’ai reçu le magnétophone CEL, le premier jour des vacances de Pâques. Aussitôt, j’ai récupéré une demi-douzaine de garçons et nous avons pu travailler.

Les enfants ont discuté longuement sur le thème du petit frère de Loïc. Ai-je proposé ce thème? Je n’en suis pas tellement sûr. Ce qui est certain, c'est que Loïc a parlé d’abondance. Il a signalé qu'on ne le laissait pas parler à table, que seules les grandes personnes avaient le droit à la parole.

— Et pourtant, quand Pascal parle, on ne lui dit rien, ce n'est pas juste.

(En fait, je suis persuadé que Loïc est intarissable à table).

— Il faut laisser les enfants parler, c’est un docteur qui l’a dit au poste.

Au cours de cette séance, l'enfant a pu parler tout son saoul, à propos de son petit frère. Et je pense que cela lui a fait énormément de bien qu'on en parlât une bonne fois pour toutes I

Huit jours après, j’étais à Niort. Au Congrès nous avons parlé de Loïc dans la commission « connaissance de l'enfant ». Je disais que je croyais l’enfant amélioré â quatre-vingts pour cent. Mais Pigeon pensait que de nouveaux progrès devaient être encore possibles. Il fallait continuer à travailler avec le magnétophone. Mais il avait oublié de me dire comment. Et je n'avais pas pensé à le lui demander.

(à suivre)

LE BOHEC

 

Au stage d'Etel (Morbihan)

Novembre 1963

 

Un emploi du temps classe CM· FE

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La vie de l'ICEM

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