L'Educateur n°3 - année 1965-1966

Novembre 1965

Les dits de Mathieu : DÉVITALISER ou LIBÉRER

Novembre 1965

Y a-t-il des méthodes de travail et de vie qui abêtissent ? D'autres qui enrichissent et libèrent ?

Cela ne fait aucun doute, Et cet abêtissement, ou cette libération se lisent dans l'allure, sur le visage, dans les yeux, dans la voix, dans la crainte ou l’assurance dont sont imprégnés ceux qui les subissent ou en bénéficient. Regardez des ouvriers sortir d’une mine où ils ont, pendant des heures, enduré le travail à la chaîne, implacable et froid comme les engrenages qui en ordonnent le rythme et le déroulement. Et voyez-les un jour de week-end, au jardin, à la chasse ou à la pêche. Ce ne sont plus les mêmes hommes. Ils apparaissaient naguère les épaules tombantes, les sourcils froncés, la face résignée et sans vie. Ils étaient comme ces herbes qui se fanent sur les champs assoiffés de l'été, et qui se refusent à mourir, dans l'attente patiente de l'ondée qui les fera revivre et reverdir si la sécheresse ne les a pas touchées à mort.

On pourrait juger de même, à voir les enfants quitter l’école, dans quelle mesure ils en ont été dévitalisés ou, au contraire, ennoblis. Et ce serait là, en définitive, le meilleur test de la valeur d'une pédagogie, Ils nous arrivent de leurs classes traditionnelles éteints et vaincus, les yeux baissés, à moins que, déjà rebelles, ils nous regardent avec arrogance, inquiets, comme des chiens battus. Ils reprennent chez nous assurance et vie au fur et à mesure qu'une nouvelle pédagogie les encourage et les épanouit.

E.J. Finbert nous parle dans un livre récent (1) de ses amis les perroquets : « Nous les avons arrachés à leurs républiques jacassantes et paisibles et, devenus serfs, réduits à nos caprices, ils se morfondent, s'ennuient et souffrent dans nos volières, parce qu'ils demeurent sans interlocuteurs, qu'ils ne font pas usage de leur langue natale avec nous. Et, forcés de vivre en la société de l’homme, celle-ci les prive de la sociabilité qui naît du fait de parler en commun, de la joie de s’entre- communiquer...

Nous avons séquestré entre des barreaux ces enchanteurs affectueux, innocents et farfelus».

Dévitaliser ou libérer? Tel est l'enjeu décisif de toute éducation.

(1) Elian J. Finbert : Les perroquets vous parlent, Fayard éditeur.
 

Analphabétisme et faim dans le monde

Novembre 1965

La mode est aujourd'hui à l'alphabétisation et à la lutte contre la faim dans le monde, deux maux, fruits du colonialisme et de l'exploitation qui pendant plusieurs siècles ont dominé les rapports entre Etats. Ils sévissent aujourd’hui dans les faits par un manque catastrophique d'éducation et de culture, le mot éducation étant pris dans son sens le plus large, synonyme de formation individuelle, intellectuelle, artistique, sociale, technique, et aussi, comme conséquence, morale et civique de ceux qui doivent pourtant construire un monde où la vie des individus sera digne, efficiente et humaine.

Sur plus de la moitié du globe, les hommes ont faim ; ils ont faim parce qu’ils sont trop pauvres ; ils sont pauvres parce qu’ils ne sont pas en mesure d'agir individuellement et collectivement pour changer avantageusement l'état de fait dont ils souffrent économiquement et politiquement. Ils ne savent pas parce que leurs exploiteurs, loin de les former et de les instruire se sont évertués à tuer en eux toutes velléités de libération. Donnez-leur ces possibilités humaines de réagir : ils sauront alors tirer du milieu où ils vivent le maximum d'avantages et ils ne mourront plus de faim.

C'est parce que nul — et les exploiteurs moins que quiconque — ne cherche à s’attaquer à la vraie cause des maux qu'on se contente de gestes symboliques sans portée véritable.

On expédiera des vivres et des habits aux populations en détresse comme on envoie des bateaux de secours aux hommes qui se noient, mais sans rien changer aux inhumaines conditions de vie qui ont permis cette détresse. Et pour vaincre l'analphabétisme presque encore généralisé dans tant de pays, on enseigne des mots qui donnent l'illusion de la connaissance mais ne font en lien avancer le progrès.

Non pas que nous devions négliger ces premières manifestations d’une évolution internationale prometteuse et bientôt d'une évolution cosmique qui pourrait le devenir. Même si rien de solide ne peut être fait encore contre l'analphabétisme et la faim, le fait qu'on prenne lentement conscience de la gravité et de l'universalité de ces fléaux, le fait qu'on admette que, devant la moitié du monde en danger, nous ne pouvons plus nous contenter de jeter une aumône et de verser un pleur hypocrite, et qu'il ne peut pas y avoir de paix tant que la misère asservit des pays entiers, cette prise de conscience annonce les proches événements que prépare la lente indépendance des peuples.

Cette prise de conscience est incontestablement un premier progrès. Elle peut et doit être logiquement à l’origine d’une vaste action d'humanité pour la liberté et la dignité des peuples en voie de développement,

Il ne suffit pas de constater le mal : il faut nous unir pour le combattre. L'UNESCO engage une campagne contre la faim. Mais il ne faudrait pas qu’on croie que lutter contre la faim c'est publier d'émouvantes photographies d’adultes dégénérés et d’enfants squelettiques, avec à l'appui chiffres et statistiques. Il y a une sorte de satisfaction bourgeoise à savoir qu’on est soi-même à l'abri de tout besoin alors que dans d’immenses pays les habitants ne peuvent pas même satisfaire leur faim et la faim de leurs enfants. On s'habitue généreusement à la misère des autres. Nous avons connu cela lors de la première guerre mondiale quand nous revenions du front, boueux et pouilleux, et que nous tombions comme un reproche vivant au milieu de la masse des gens qui, à l'arrière, s’étaient organisés pour « tenir » douillettement, à l'abri d'une ligne de front où les soldats souffraient et mouraient pour la gloire de rassurants communiqués.

Le monde des bien-pourvus peut fort bien continuer à vivre sans remords en regardant dans les revues ou à la télévision les drames dont pâtit la moitié du monde. Et c'est parce que nous avons conscience de cette réalité que nous ne nous pressons pas d'offrir à nos enfants par une BT sur la faim dans le monde, un spectacle qui n'aurait en définitive aucun enseignement. Une campagne contre l'analphabétisme et la faim n'a de sens et d'utilité que si nous pouvons dire aux enfants et aux hommes nos congénères ce qu'ils doivent faire, ce qu’ils peuvent faire pour que leur inquiétude se traduise par un geste efficient d’humanité.

Mais que faire effectivement?

Il est dépassé le temps où l'Eglise demandait à ses fidèles, les enfants compris, de verser un sou pour la conversion des petits Chinois. Toute quête est hypocritement ridicule parce que le résultat qu'on peut en attendre n'est qu’une goutte d’eau dans un océan d'impuissance et de misère. Demander aux Etats riches de consentir un effort financier hors série en faveur des pays sous-développés? Mais n'allégueront ils pas qu'ils ont fort à faire déjà pour tenir leur budget en équilibre? Et de quel ordre pourrait être en définitive cet effort? Sous quelle forme se manifesterait-il?

Envoyer à ces pays des machines et des tracteurs, les aider à construire des maisons, à filer des habits, à semer et à récolter? Mais qui préparera les hommes et les femmes à se servir intelligemment de ces machines, qui les initiera à une conception de leur monde bâtie non sur la pénurie et la misère, mais sur le travail et la civilisation?

A la base de toute aide à apporter à ces pays, il y a l'effort désintéressé d’instruction et d’éducation pour relever le niveau intellectuel et social des individus. Cette aide est seule susceptible de dépasser l’inutile aumône pour augmenter le potentiel de vie et d’humanité qui seul importe.

L’UNESCO

Dans la chronique de I'Unesco de septembre 1965, la question d’alphabétisation et de culture a été longuement débattue par M. Maheu lui-même et ses collaborateurs.

« Un alphabète est une personne qui a acquis les connaissances et compétences indispensables à l'exercice de toutes les activités où l'alphabétisation est nécessaire pour jouer efficacement un rôle dans son groupe et sa communauté, et dont les résultats atteints en lecture, en écriture et en arithmétique sont tels qu'ils lui permettent de continuer à mettre ces aptitudes au service de son développement propre et du développement de la communauté et de participer activement à la vie de son pays.

Ainsi on se place très nettement dans la perspective d'une alphabétisation qui, loin d'être limitée par un contenu minimum, est conçue comme alphabétisation fonctionnelle, et débouche sur la conception d'une éducation continue ».

«L’éducation, dit M. Maheu, comme l'homme qu'elle a pour objet de façonner et d'instruire, est un tout ; et il faut dire notamment qu’il n'y a pas d'enseignement technique digne de ce nom, j'entends par là un enseignement qui soit autre chose qu'un dressage, sans éducation générale ».

Quels sont les résultats de la campagne engagée?

« Encourageants certes, dit M. Maheu, mais moins satisfaisants que ne semblent l'indiquer les progrès de la scolarisation ». « Il faut, dit encore M. Maheu, renoncer aux activités spectaculaires au profit d'efforts patients auxquels le terme « campagne » ne convient plus, l'alphabétisation devant être une action permanente des organismes responsables ».

Ainsi, alors que nous croyions parler en vain dans un monde où l'aide aux pays sous-développés consiste trop souvent à leur vendre au prix fort des produits dont on n'a plus l'écoulement dans les régions productrices, et où les méthodes préconisées sont jugées non d'après leur rendement mais en fonction du seul rapport commercial, un Congrès mondial des Ministres de l’Education vient de se tenir à Téhéran, du 8 au 19 septembre 1965 sur le thème justement de l'élimination de l’analphabétisme. Sur l'intervention constructive de notre ami Dottrens, de Genève, et de notre Institut Pédagogique National, les dirigeants semblent avoir été amenés à reconsidérer le problème.

Nous lisons le compte rendu de ce Congrès dans la revue L’Education Nationale, du 7 octobre :

« Une notion s'est très heureusement dégagée des débats. Elle avait été en particulier développée par M. Dottrens, de la délégation suisse, qui affirmait qu’apprendre à lire ne suffit pas, car savoir lire, c’est comprendre ce qu’on lit. Les conclusions générales précisent que les apprentissages de base (lire, écrire, compter) doivent déboucher non seulement sur des connaissances générales élémentaires, mais sur la préparation du travail, l’augmentation de la productivité, une participation plus grande « la vie civique, une meilleure compréhension du monde environnant, et ultérieurement, s'ouvrir sur le fonds culturel humain ». Pour que cet effort d'éducation soit rentable, il faut éviter de le scolariser mais l'intégrer à la vie des peuples, ce qui sera pour eux la meilleure et la plus indispensable des motivations. « On a souvent remarqué que, pas plus qu'on ne force à boire un cheval qui n'a pas soif, on n’instruit un homme qui n'a pas envie d’apprendre. Il s'agit donc d'abord de faire naître des motivations objectives et subjectives qui pousseront les illettrés à s’instruire ».

Selon quelles méthodes, selon quelles techniques pourra être entreprise cette éducation motivée?

La commission désignée à cet effet, a conclu, et en grande partie sur les suggestions françaises, à la nécessité de ne pas se limiter aux moyens traditionnels et de ne pas attendre que des Etats soient dotés de tout le personnel qualifié nécessaire. Il faut au contraire, faire appel à toutes les bonnes volontés : instituteurs, maîtres bénévoles, éducateurs isolés envoyés dans les familles ou les groupes sociaux.

De même, l'utilisation des techniques nouvelles et en particulier des moyens audiovisuels, est vivement recommandée, avec, au sommet, une équipe de pédagogues hautement qualifiés, et, sur le terrain, la présence humaine d’un maître compétent ou d'un moniteur formé au rôle d'animateur.

Par la suite, l'alphabétisation doit Être entretenue par les distributions régulières de textes imprimés, peu coûteux et par la multiplication d'offices d’édition régionaux, et même de petites imprimeries locales, de construction simple et de prix peu élevé pour assurer la publication d’hebdomadaires ou de textes de lecture dans des régions où la faible diffusion d'une langue ne permet pas la production massive de livres ».

C'est tout le problème de notre pédagogie qui se présente aujourd’hui comme solution pratique à l’urgence de l'éducation et de la culture des enfants, des adolescents et des adultes dans les pays en voie de développement. Nous prêchions jusqu'ici dans le désert parce qu’on croyait possible une autre forme d'alphabétisation pour laquelle on a essayé en vain les moyens audiovisuels, avec cinéma, disques, radio et télévision. On est en train même de préconiser et d'essayer les machines à enseigner du type américain avec laboratoires spécialisés susceptibles de traiter quelques individus à qui on apprendra à grands frais, des techniques arbitrairement isolées du milieu, niais pratiquement sans portée sur la masse du peuple.

Il faut obligatoirement trouver de nouvelles techniques de travail, mêlées à la vie, servant cette vie, susceptibles d’amorcer une formation profonde qui est tout à la lois individuelle, technique et sociale, et dont le Congrès a admis et publié les principes.

Nos solutions

Or, notre méthode pédagogique, servie par les outils et les techniques que nous avons mis au point, semble répondre aux soucis exprimés.

— Par le texte libre, dont il faudra populariser la technique en la préservant de la tentation toujours latente de faire appel à des textes d'auteurs qui ne sont valables que dans les livres, nous puisons dans la vie des individus dans leur milieu, la base même de toute culture.

Nous redonnerons aux individus le sentiment de la valeur et de la dignité de leurs pensées et de leurs actes ; nous les convaincrons de leur maturité, ce qui les entraînera à employer lecture et écriture pour s’exprimer et communiquer avec leurs congénères, comme ils le faisaient jusqu’à ce jour par le seul truchement de la parole. Nous donnerons à leur vie une nouvelle dimension.

Or, le texte libre peut être réalisé partout; il ne réclame pas du maître une culture particulière, sauf de le sauvegarder de la scolastique paralysante qui menace quiconque fait profession d'enseigner.

Mais — et le Congrès de Téhéran l’a bien marqué — il faut à cette forme nouvelle d’expression et de communication une indispensable motivation, qui donne le sentiment que ce nouveau langage ne se produit pas à vide, mais que, comme la parole, il a un but éminent. Or, nous apportons cette motivation par le journal scolaire, post-scolaire, local ou régional.

Le texte libre sera tiré au limographe pour les Centres qui ne peuvent acquérir l’imprimerie. Il sera majestueusement imprimé quand le centre pourra acquérir pour 500 F un matériel d'imprimerie complet, qui permettra le tirage de belles feuilles 13,5 x 21, illustrées, qui incitent les gens à lire et à comprendre (pour une somme supérieure mais non prohibitive, on peut acquérir un matériel permettant le tirage à 300, 500 ou 1 000 ex. de belles pages 21 X 27).

Ces pages ne seront pas des textes savants, traitant de problèmes qui ne se posent pas au niveau où nous nous trouvons, dans un style qui ne serait pas accessible à la niasse. C’est la vie de tous les jours qui s'offrira au lecteur : la vie de la famille, de la case, du village ou du clan, avec les bêtes domestiques ou sauvages, les travaux, les traditions et les croyances, les jeux et les fêtes, les entreprises nouvelles à envisager.

A partir de ce moment, les enfants et les jeunes — les plus vieux aussi — apprendront à lire et à écrire comme ils ont appris à parler, dans le grand livre ouvert de leur vie. L'alphabétisation sera alors, selon le vœu du Directeur de l’Unesco, culture.

— Nous compléterons cette première réalisation par les échanges de journaux et d’imprimés qui donneront une motivation supplémentaire à cette culture de vie.

Quels seraient les avantages d’une telle technique?

— Le matériel simple, inusable, à la portée de tous, ne représenterait qu’une dépense annuelle de quelques francs par élève.

— Textes et imprimés seront nés du milieu. Ils écloront de la vie locale, dans la langue qui lui est propre, première étape de la culture que l’Ecole élargira ensuite vers la langue nationale ou internationale. Nulle autre méthode ne permet l'adaptation à la diversité de langues de tant de pays.

— Cette forme d’éducation ne nécessite pas de locaux spéciaux. Elle peut s’accommoder d’une case aussi bien que de l’ombre des grands arbres l'été.

— Elle est si simple que n'importe quel adulte sensé, moyennement instruit, mais rééduqué, peut y faire face.

— Cette méthode d'apprentissage de la langue par le texte libre, l'imprimé, le limographe, le journal scolaire et la correspondance serait utilement complétée par l'utilisation de nos boîtes et bandes enseignantes qui élargiraient les pistes ouvertes par la Méthode Naturelle. Si quelques-unes de ces bandes pouvaient être produites en série par des centres spécialisés, notre méthode permettrait aux maîtres de réaliser eux-mêmes les bandés adaptées à leur milieu et à leurs élèves.

Sur la base d'une telle méthode, nous verrions très bien alors des individus, des écoles, des collectivités, des organismes sociaux ou culturels prendre en charge l’équipement à leur portée de villages entiers ou de zones plus étendues de pays en voie de développement. Les échanges qui en découleraient noueraient des' relations, même économiques qui donneraient une motivation et un sens à la campagne d'entraide organisée.

Un grand courant culturel s'établirait alors, des écoles et des pays pourvus vers les pays qui, pour avoir trop longtemps souffert de l'exploitation et du colonialisme, restent démunis devant la modernisation technique et culturelle qui pourra alors triompher de la misère et de la faim.

Les temps sont venus de dépasser les voeuix pieux et d’agir. Nous en offrons la possibilité, et c’est pourquoi nous soumettrons ce projet à l’institut Pédagogique National et à l’UNESCO, dans l'espoir qu'il serve la grande œuvre d'entraide internationale, au service de la culture, de l’humanité et de la paix.

C.F.

 

Le thème de notre congrès de Perpignan : les examens

Novembre 1965

Le problème n'est pas nouveau. Il a suscité une très abondante littérature. L'Institut de l’Unesco pour l’Education de Hambourg avait pris l’initiative de deux rencontres d’experts, l’une en mars 57, l’autre en mars 58. Entre temps une documentation avait été rassemblée sur le régime en vigueur dans une vingtaine de pays. F. Hotyat en a résumé l'essentiel dans un livre paru chez Bourrelier :
Les Examens (Les moyens d'évaluation dans l’enseignement).

Nous ne nous contenterons pas de faire la synthèse de ces divers travaux. Nous voudrions en tirer des directives pour une réforme possible des examens. C'est donc cet aspect constructif du problème qui va plus particulièrement nous préoccuper.

Nous pourrions examiner les points suivants ;

Quelles sont les pratiques actuelles qui sont à condamner ?

a) Les examens tels qu'ils existent encore étaient valables au début du siècle, alors que le but de l’Ecole était presque exclusivement l'acquisition des connaissances. La mesure de ces acquisitions est effectivement possible par interrogations et par tests. Or, le but de l'Ecole a changé — ou du moins est en train de changer. La somme des connaissances n’est plus aujourd’hui à la mesure de l’homme, et encore moins de l’enfant.

Il faut désormais se préoccuper davantage de former en l'enfant l’homme qui aura le maximum de possibilités de compréhension, de création et de culture, l’homme qui sera riche d'un sens historique, scientifique, littéraire, mathématique. Le système de mesure traditionnel n'est absolument plus valable pour ces acquisitions. Il nous faudra trouver autre chose.

b) Le système des notes a montré toute sa vanité : nous pourrions apporter de nombreux témoignages montrant que l’attribution de ces notes varie considérablement selon les correcteurs. Les notes utilisées pour les examens sont comme des mesures qu’on effectuerait avec un mètre faux ou mal standardisé.

c) La correction des épreuves; possible lorsque; il y a cinquante ans, le nombre des candidats était peu élevé, est aujourd'hui techniquement impossible. Si on établissait — et ce serait facile — le temps moyen qu'un professeur devrait consacrer à une honnête correction d'une copie de baccalauréat, on pourrait calculer du même coup l’effectif des commissions d’examens. Il n'y aurait jamais assez d'examinateurs.

d) L'emploi préconisé des machines électroniques ne fait qu’officialiser ces fausses mesures. Ce n’est pas la machine qui pourra noter les candidats. La machine exploitera la liste de ces notes pour en tirer les conclusions. Mais si ces notes sont fausses, les données des machines n’en seront que plus erronées.

e) L’importance croissante des notes nécessite un bachotage abêtissant que tout le inonde condamne mais que tout le monde pratique.

Dans la pratique, en France, les examens ne sont nullement la mesure des acquisitions conformément aux programmes, Ce sont les examens qui remplacent les programmes, tout l'enseignement aux divers degrés étant conçu exclusivement en fonction de l’examen.

Il en résulte non seulement le bachotage mais le doping dont nous aurons à dire les méfaits.

Que pourraient être les examens ?

Nous pouvons noter d’avance ici un certain nombre d’impératifs :

— Dans la pratique intensive actuelle des examens, il faut procéder rapidement, ce qui exclut l'emploi des tests divers trop longs à analyser et à exploiter.

— Il faut compter que les examens de masse ne doivent pas durer plus d’un jour.

— La correction doit en être rapide.

— Elle doit mesurer plus que les acquisitions les possibilités de recherche, d’étude et de travail.

C’est dans ce cadre étroit qu'il nous faudra essayer de construire.

De l’étude de quelques techniques d’examens :

— De l'emploi possible des dossiers scolaires.

— Peut-on améliorer le système de notation?

— Doit-il y avoir des épreuves éliminatoires?

— Que penser de l'épreuve d’orthographe ?

— L’oral doit-il avoir lieu ?

Quelques propositions constructives

Les brevets et chefs-d'œuvre dont nous allons commencer l’étude dans notre prochain Educateur Technologique. Epreuves nouvelles avec l'utilisation de livres et de dictionnaires.

Tests d'acquisition pour les techniques indispensables.

Utilisation éventuelle des techniques audiovisuelles.

Dès notre prochain numéro, nous étudierons les points divers de ce programme. -

Pour notre partie constructive nous aurions aimé recevoir le maximum de renseignements sur les examens dans les divers pays du monde, afin que, à notre Congrès, nous puissions faire des propositions concrètes et possibles pour les divers examens.

A vous lire donc.

C. F.

Brevet de ... philosophie

Novembre 1965

 

Ecoles maternelles : appel aux camarades

Novembre 1965

 

L'INSTITUT FREINET à VENCE Laboratoire international de l'Ecole Moderne

Novembre 1965

Notre Institut Coopératif de l'Ecole Moderne administre l’ensemble complexe de notre vaste entreprise pédagogique avec l'édition de nos revues, la propagande départementale et nationale, les stages et les Congrès.

Les circonstances actuelles de notre extension, les risques de scolarisation de notre pédagogie nous ont incités ces dernières années à mettre un accent particulier sur les recherches des fondements psychologiques et pédagogiques de notre mouvement, puis sur les éléments de culture nés de nos réalisations, et maintenant sur la formation profonde de ceux de nos adhérents qui sont destinés à devenir les cadres solides de notre pédagogie. Il nous fallait pour cela un organisme plus spécialisé, travaillant selon d’autres données, avec les plus actifs parmi nos adhérents. C'est pourquoi nous avions formé le projet d’un Institut Freinet à Vence à l’intention des chercheurs psychologiques et pédagogiques français et étrangers.

Cet Institut aurait fonctionné à Vence sous notre direction, avec l’expérience permanente de notre Ecole. Mais nous nous sommes rendu compte dès nos premiers essais que nous faisions tout simplement fausse route en voulant organiser cet Institut sur le modèle des organisations administratives similaires. Nous n'avons jamais travaillé en circuit fermé. A nous d’adapter le fonctionnement de l'institut Freinet aux formes mêmes, si originales et si dynamiques, de notre mouvement coopératif. Nous ne devons pas oublier que nous avons à notre disposition le plus vaste des laboratoires, le plus vivant et le plus dynamique, celui que constitue la large équipe de nos adhérents, de nos travailleurs, de nos responsables, œuvrant à même leur classe. 

C'est en fonction de cette large recherche que nous organisons notre Institut Freinet, tout à la fois centre d’initiation et de recherches, et laboratoire aux mille ateliers de notre pédagogie moderne.

PRÉAMBULE :

La dispersion de nos adhérents à travers le pays ne nous permet que rarement les prises de contact et les réunions d’information et de travail qui seraient nécessaires. Tel a été le lot historique de notre mouvement qui doit travailler presque exclusivement par correspondance — ce qui a, il est vrai, ses avantages puisque nous touchons ainsi des camarades qui, dans leur village ou leur petite ville, sont les mieux placés pour pouvoir continuer le travail efficace dont nous avons vécu. 

L'Institut Freinet comportera : 1°. Un bureau central à l’Ecole Freinet de Vence qui mettra à l'étude les grands problèmes suscités par nos techniques.

Ces études se feront par enquêtes, questionnaires, monographies, expériences qui donneront lieu à des synthèses dont l'institut assurera l’édition et la diffusion.

2°. L’Institut Freinet fonctionnera avec l'apport actif de plusieurs centaines de correspondants de l'institut dont la liste à jour sera communiquée à nos adhérents et aux candidats pour stages.

3°. La partie pratique de nos travaux et de notre enseignement se fera par notre important réseau de classes- témoins dont nous publierons également la liste,

4°. Des réunions, colloques et conférences seront organisés départementalement, régionalement et nationalement, sur l'initiative et avec le concours de nos correspondants.

5°. Les Annales de l'institut publieront les documents originaux dont l'édition pourra être ensuite reprise par l’ICEM.

6°. Les correspondants de l’Institut Freinet recevront gratuitement toutes les publications de l’ICEM.

7°. La vie de l’institut sera assurée exclusivement par des souscriptions et des dons des organisations ou entreprises intéressées à l'œuvre de l’institut.

8°. Une rubrique régulière de L’Educateur tiendra les adhérents de notre mouvement au courant des travaux de l'institut.

Les personnes intéressées par le travail et la vie de cet Institut Freinet sont invitées à nous écrire à Vence, Alpes- Maritimes.

C.F.

 

Les mathématiques modernes dans l'enseignement primaire (2)

Novembre 1965

Sur ces bases de tâtonnement expérimental (1), nous pourrons alors établir une pratique effectivement valable. Mais au préalable, nous croyons utile de faire le point sur deux questions controversées :

 
— le problème de l’abstraction
 
— et celui des symboles.
 
 
L’ABSTRACTION
 
La théorie des ensembles n’est pas plus une nouveauté effective que la méthode de lecture ou de sciences. C’est la pédagogie traditionnelle qui en a envahi abusivement le champ pour y faire pousser à la place ses méthodes artificielles préfabriquées, comme dans ces terrains où les alluvions ont recouvert depuis deux mille ans et plus des villages entiers que les fouilles remettent maintenant à jour. Oui, il faut que des hommes de génie découvrent aujourd’hui, sous les huées des scolastiques, ce que le bon sens nous permet de constater tous les jours.
 
« Le nombre est une abstraction... les nombres n’ont pas d’existence réelle... Les nombres sont des propriétés... En fait, un, deux, trois n’existent pas dans la réalité. Ce sont des abstractions ».
 
Ce sont non seulement des abstractions, mais ce sont en même temps des dénominations d’ensembles. Deux, trois, indiquent nécessairement des ensembles. C’est si simple qu’on ne comprend même pas pourquoi il serait utile de le noter. Il faut vraiment que les scolastiques aient la vue et l’ouïe obstruées pour qu’on doive leur rappeler, leur révéler, leur enseigner des choses aussi naturelles que de dire que nous avons deux mains et dix doigts,
 
« Les nombres sont des propriétés des ensembles ».
 
Comment pourrait-il en être autrement ? « L’univers auquel s’appliquent ces propriétés est constitué par des ensembles ».
 
Compter par ensembles ! Voilà une vérité qui bouleverse toute la pédagogie. Dans un milieu où l’on a si péniblement habitué les vivants à marcher sur leurs mains, voilà que des iconoclastes viennent révéler ; vous pouvez marcher sur vos pieds ! Mais seuls les fous en font l’essai. Les autres, l’ensemble des personnes sages, continueront à marcher sur les mains. Mais les bergers, depuis toujours, comptent par ensembles. Ils ne comptent jamais leurs bêtes une à une. Réalisez le temps qu’il y faudrait lorsqu’ils ont, éparpillé sur les Alpages, un troupeau de 2 à 3 000 brebis ! Ils ne réalisent que par ensembles : le nombre total de bêtes (approximatif, mais on sait que dans ce domaine l’approximation peut être étonnamment totale) ; dans ce total, des sous-ensembles d’animaux appartenant à un autre propriétaire :
 
des mâles et des femelles ;
 
des blancs et des noirs ;
 
des malades et des bien portants ;
 
des tondus et des pas tondus ;
 
des marqués et des non marqués ;
 
des gras et des maigres ;
 
ceux qui seront vendus et ceux qu’on gardera.
 
Ce berger ne compte vraiment que par ensembles puisqu’il ne sait parfois pas faire une opération sur des chiffres — ce qui ne l’empêche pas de compter à une unité près.
 
C’est tout simplement la scolastique qui, pour apparemment simplifier — et contrôler — a substitué de bonne heure, dès la plus tendre enfance, les nombres aux réalités qu’ils expriment. Et cette déformation est intervenue du fait de la grosse erreur scientiste du début du siècle : n’est recommandable à l’Ecole que ce qui produit des résultats facilement mesurables, qu’on peut donc cataloguer progressifs et scientifiques, les examens ne contrôlant eux-mêmes que ce qui est mesurable. Cette « imprégnation » en calcul, cette notion plus ou moins diffuse des ensembles, cela ne se contrôle pas facilement, et c’est pourquoi les vraies mathématiques modernes, dont notre calcul vivant est la base, seront si longues à s’implanter dans les classes, ou bien elles s’y implanteront, mais en sacrifiant exagérément aux formules et aux symboles qui risquent fort d’être étudiés en soi, dans l’esprit des anciennes mathématiques, sans cette formation nouvelle qui leur donnerait valeur éducative et portée.
 
Faut-il partir du concret pour aller vers l’abstrait, ou, inversement commencer par l’abstrait dans lequel le concret est naturellement encastré ?
 
« Les concepts abstraits doivent être formés par les enfants eux-mêmes, à partir d’un grand nombre de situations concrètes...
 
... Pour susciter la formation d’une abstraction, il faut manipuler plusieurs réalisations concrètes de cette structure, en faisant varier toutes les variables correspondant aux divers caractères particuliers, de façon à ce que seuls les caractères communs soient retenus dans le processus d’abstraction, comme propriétés de la structure abstraite ».
 
LES SYMBOLES
 
Reste le problème des symboles qui est évidemment une des caractéristiques, un des outils les plus originaux des mathématiques.
 
Là, les opinions restent partagées : nos explications devraient en hiérarchiser les fonctions : les symboles doivent-ils être appris tout au début des mathématiques, comme signes de l’indispensable abstraction, même s’ils ne signifient rien — ce qui semble parfois être une qualité de l’abstraction ? Ou faut-il partir des éléments que ces symboles représentent ?
 
Dienes — et nous sommes de son avis — est catégorique.
 
Nous avons déjà cité cette opinion :
 
« Dans la grande majorité des cas, quand les étudiants écrivent ou prononcent des signes mathématiques, ils ne veulent exprimer rien d’autre que les signes eux-mêmes, et non pas les structures dont ces signes devraient servir de symboles.
 
La fonction psychologique de la démarche analytique comme de la démarche pratique consiste à amarrer solidement la nouvelle découverte à sa place dans la panoplie de nos concepts, de manière à pouvoir retrouver le concept adéquat au moment opportun », ce qui est du plus pur Tâtonnement Expérimental.
 
« Si un enfant demande : “Faut-il faire une addition ou une soustraction ?” il est clair que cette mise en place n’a pas été réalisée, très probablement parce qu’on a sacrifié les premières phases du cycle dont nous parlons,
 
… Cette question des symboles n’est pas simple. Certains faits donnent à penser qu’il vaut mieux introduire les symboles après l’accomplissement de la découverte, car, dans certains cas, l’introduction prématurée des symboles semble paralyser le processus d’abstraction. Dans d’autres cas, en revanche, on a trouvé que l’emploi des symboles accélérait l’apparition des découvertes. Cependant on peut affirmer à coup sûr que, dans nos classes, nous abusons grossièrement des symboles. Une série d’expériences bien enchaînées, suivie de l’introduction de symboles, est certainement plus efficace que des efforts continuels pour associer les symboles à leur “signification”. On apprend beaucoup plus avec une série d’événements qu’avec une série d’explications ».
 
LA TECHNIQUE D’APPRENTISSAGE
 
Dans la pratique donc, comment aborderons-nous les mathématiques modernes ? Là encore nous nous associons à la préoccupation du Pr Dienes :
 
« L’état actuel de l’enseignement mathématique est tellement défectueux qu’il est urgent de mettre à la portée des instituteurs un ensemble de suggestions aussi cohérent que possible ».
 
« Il faut beaucoup d’audace pour se demander comment on apprend la mathématique. En faut-il tout autant pour s’interroger sur le “comment” de n’importe quel apprentissage aussitôt que l’on s’écarte du schéma Stimulus-Réponse » ? ».
 
Essayons cependant puisqu’aussi bien nous avons eu l’audace de présenter une nouvelle technique d’apprentissage par tâtonnement expérimental. D’après tout ce que nous avons dit en accord avec la pensée et l’expérience de Dienes, les mathématiques modernes sont, au premier degré surtout (mais nous sommes persuadés qu’il en est ainsi à tous les degrés, avec des variantes technologiques) à base d’expériences, d’exploration, d’information, d’observation, d’enquêtes et de classification.
 
Mais une telle méthode est-elle possible dans nos classes ? Elle l’est, ou du moins peut le devenir rapidement par le Calcul Vivant tel que nous l’avons enseigné et tel qu’il se pratique déjà dans des milliers de classes, depuis surtout qu’il est facilité et rendu pratique par les bandes enseignantes. Le Pr Dienes ne connaît pas ces possibilités, c’est pourquoi il reste sceptique sur la réalisation dans les classes primaires d’une méthode dont il sent pourtant la nécessité.
 
« La vie civilisée nécessite certaines techniques que l’on n’acquiert pas dans le cours normal des événements. Il faut donc que celles-ci soient enseignées à ceux qui en ont besoin. La transmission des techniques manuelles de père en fils peut être encore considérée comme un processus relativement naturel, en ce sens que l’initiation du père n’est qu’un aspect de l’adaptation spontanée de l’enfant à soit milieu familial. Le processus d’acquisition a été quelque peu stéréotypé, mais conservé dans ce qu’il a de fondamental, dans le système de l’apprentissage artisanal ; il s’agit en quelque sorte, d’un processus d’imprégnation, dont les apprentis ont à peine conscience. Les institutions où l’apprentissage est devenu le plus artificiel sont les écoles... On néglige sérieusement l’étude du processus d’acquisition lui-même. Il n’y a jamais eu, dans aucun pays, un programme systématique de recherches. Nous avons à peine attaqué superficiellement le problème en procédant à des études de pédagogie comparée et à des analyses simplifiées du processus d’acquisition en laboratoire. Mais ces méthodes n’apportent aucune lumière sur le mécanisme du processus d’acquisition ; les études sur les réactions des rats dans des labyrinthes, comme sur les êtres humains apprenant des syllabes sans signification, ou des caractères chinois artificiels, ont probablement peu de chances de s’appliquer à l’apprentissage infiniment plus complexe, et à la situation sociale plus complexe encore, que l’on rencontre dans les écoles réelles ».
 
Que faudrait-il pour réaliser cette nouvelle technique par calcul vivant et tâtonnement expérimental ?
 
« La compréhension mathématique universelle peut s’obtenir à condition d’y mettre le prix. Quel est ce prix ? C’est une grande quantité de matériel didactique ».
 
Que sera ce matériel didactique ? Là est le point délicat.
 
Dienes, pensant aux écoles de villes, a réalisé un matériel de démonstration et d’expériences en matière plastique qui est en vente chez l’éditeur du livre.
 
Bien employé, dans l’esprit qui est celui de l’auteur, ce matériel pourrait peut-être rendre de grands services. Mais nous craignons fort que la plupart du temps ce matériel soit employé dans l’esprit école traditionnelle et que, remplaçant l’expérience véritable, il nous reconduise dans l’impasse des symboles qui passent avant l’expérience.
 
Pour pallier ce danger, nous préconisons :
 
— La pratique du calcul vivant qui permet de partir vraiment des réalités de la vie et du milieu de l’enfant. Nous avons sur ce thème une expérience considérable dont la publication fera comprendre la valeur pédagogique.
 
— Les bandes enseignantes : mais le calcul vivant s’intègre difficilement dans la pratique courante d’une classe, sauf pour les petites classes. Il demande trop d’improvisation.
 
Les bandes nous apportent une nouvelle possibilité,
 
— Les enfants font dans leur milieu la riche quête des éléments du calcul. Au lieu de les travailler sur le champ, nous préparons le soir, ou les jours qui suivent, les bandes de travail correspondantes, en rapport d’ailleurs avec les divers centres d’intérêt et les programmes.
 
Jusqu’à ce jour, le calcul vivant restait une technique délicate à employer, difficile à intégrer à la vie de la classe, et de ce fait recommandable seulement aux petites classes qui travaillent sans programme fixe, ou aux instituteurs chevronnés. Avec les bandes, il fait partie désormais de la technique normale d’une classe.
 
 
LE LABORATOIRE DE CALCUL
 
Mais évidemment si les mathématiques modernes sont à base d’expériences, il faut que les enfants aient la possibilité technique de faire de nombreuses expériences. « Cela implique, écrit M. Lerner (article cité), que la classe devienne un Atelier Mathématique, où les enfants travaillent en groupes de quatre à des niveaux différents selon leur rythme propre, et que l’on cesse par exemple de s’inquiéter de ces différences de niveaux qui ne sont que des différences provisoires dans le rythme d’acquisition dues aux différences d’aptitude des enfants. A la fin, chacun d’eux aura appris le maximum qu’il peut appréhender dans le temps scolaire imparti, maximum bien plus élevé — qu’on se rassure — que celui qu’il apprend avec le rythme uniforme des méthodes traditionnelles »,
 
Or, ce laboratoire — ou atelier — de calcul, nous l’avons réalisé pratiquement avec notre série de 30 bandes-atelier de calcul, qui permettent aux classes, à tous les cours, un travail expérimental qui est éminemment profitable et formatif.
 
LA MATHEMATIQUE MODERNE AU 2d DEGRÉ
 
Evidemment, nous avons abordé surtout ici les bases du nouvel enseignement par une méthode que Dienes appelle Méthode d’exploration abstractive, et qui est tout simplement, nous l’avons vu, notre méthode de Tâtonnement expérimental, plus complète et plus logique.
 
Les principes valables au premier degré le sont évidemment aux autres degrés, avec évidemment des variations technologiques selon les niveaux.
 
« L’expérience montre, écrit M. Lerner (revue citée) qu’au niveau de notre première, grâce à cette méthode, la majorité des enfants aura atteint une maturité mathématique suffisante pour permettre l’étude des groupes, des isomorphismes, des anneaux, des algèbres, des racines et des logarithmes. Certes, Dienes ne conseille pas d’enseigner si tôt ce qui précède, mais il a montré expérimentalement qu’il est possible de le faire avec des sujets normaux et sans fatigue ni ennui.
 
Les relations que nous manions quotidiennement ne sont pas d’une complexité beaucoup plus grande ; les relations d’inclusion d’identité, de disjonction, d’intersection complétées par les propriétés caractéristiques de chaque classe, suffisent en général pour nous permettre de maîtriser la plupart des situations de la vie courante ».
 
Le difficile n’est pas, en mathématique moderne, le maniement des notions et symboles auxquels les jeunes s’habituent aussi bien qu’aux anciens symboles, L’essentiel est ce qu’ils mettront sous ces symboles et leur aptitude nouvelle à prendre conscience des faits, des situations et des événements qu’ils auront à combiner logiquement, pour apprendre d’abord, pour créer ensuite. Il n’est même pas interdit, à notre avis, d’entraîner très vite les enfants à jongler avec ces symboles, en pleine abstraction, à condition cependant que, par le calcul vivant, ils aient pris conscience de la signification de ces symboles, tout comme l’enfant pourra jongler avec les mots et les phrases quand il aura pris conscience des réalités de leur signification vivante.
 
OBSTACLES A VAINCRE
 
Il en est des mathématiques modernes comme de toutes nos techniques : leur introduction dans nos classes serait naturelle et simple si nous avions affaire à des élèves, et surtout à des instituteurs neufs, non déformés par la scolastique,
 
Le risque est grand de voir les éducateurs qui pour diverses raisons, se lancent dans les nouvelles techniques, le faire dans l’esprit de l’ancienne école, ce qui en fausse évidemment le mécanisme.
 
« Dès lors que nous trouvons d’autres règles qui nous servent mieux, il n’y a qu’à modifier les règles, écrit Dienes ». C’est ce qui se produit lorsqu’on propose une nouvelle théorie. Cette manière révolutionnaire de penser pourrait se rencontrer plus souvent chez les adultes, si les enfants étaient entraînés à se montrer plus audacieux... Et c’est parce que les éducateurs ont été intoxiqués depuis l’enfance qu’il faudrait commencer la réforme par le commencement.
 
« Il faudrait tout d’abord, conclut Lerner, que les maîtres du premier cycle aient la possibilité de se recycler. Trop souvent, ils n’ont pas eu, au cours de leur formation, la possibilité d’apprendre suffisamment de mathématiques pour comprendre vraiment ce qu’ils enseignent, Les Instructions Officielles de 1945 ne les y aident pas qui déclarent par exemple que les nombres sont concrets jusqu’à 1 000 et abstraits au-delà ».
 
Terminons comme le fait Lerner, en « souhaitant que ces méthodes se répandent peu à peu en épanouissant non seulement les enfants, mais aussi les maîtres, dans la joie de comprendre, de joindre ri tout moment la théorie “la pratique dans la maîtrise de notre environnement”.
 
Et c’est pour nous enfin un soulagement que de sentir à quels points nos principes théoriques et pratiques peuvent désormais influencer tout l’apprentissage, y compris celui des Mathématiques Modernes.
 
C, FREINET
(1) Voir L’Educateur n° 1 du 1er octobre 1965 aux pages 27 à 31.
 

 


Quelques films actuellement en circuit

Novembre 1965

 

La documentation audiovisuelle

Novembre 1965

 

Le développement de l'expérience canadienne de modernisation de l'enseignement

Novembre 1965

Nous avons rendu compte, en son temps, de la publication au Canada de l’important rapport de la Commission Parent, qui concluait à l’introduction des méthodes actives — de notre pédagogie et de nos techniques en particulier — dans toutes les écoles des divers degrés.

 
Mais un problème s’est posé lorsqu’il s’est agi de passer à l’action. Pas celui des fonds puisque le Canada semble disposé à l’important financement nécessaire pour une modernisation qu’on estime inéluctable.
 
Le problème, plus difficilement soluble encore, a été, comme en France pour les classes de transition, celui du recyclage des maîtres et leur préparation idéologique et technique à la pédagogie recommandée. Quand on aborde ce problème, on s’aperçoit que le recyclage des instituteurs suppose le recyclage des professeurs qui les forment, et que le recyclage de ces mêmes professeurs est fonction du recyclage des professeurs du secondaire et des grandes écoles, qui auraient besoin eux-mêmes d’être recyclés, mais par qui ?
 
Les organismes responsables avaient formé le projet d’envoyer instituteurs et professeurs à recycler en France. Mais la venue de ces professeurs en France s’est effectuée dans les services d’échanges culturels, réglés par des services en général ignorants du mouvement de l’Ecole Moderne en France. Il n’y avait guère que nos écoles, et l’Ecole Freinet en particulier, où un recyclage effectif aurait été possible. Nous n’avons pas été compris dans le circuit officiel.
 
Au Congrès de Brest on avait contacté quatre camarades — les meilleurs de notre mouvement — pour aller assurer un stage au Canada. Il n’a pas été donné suite à ce projet.
 
Les dirigeants pédagogiques du Canada semblent avoir pris leur parti de cette impossibilité de recyclage, et paraissent abandonner leurs projets d’amélioration rapide de leur enseignement.
 
Par un discours prononcé le 27 avril 65, M, Paul Gérin-Lajoie, Ministre de l’Education, annonce un certain nombre de mesures importantes.
 
— Jusqu’à présent, les éducateurs canadiens n’avaient pas, comme en France, la liberté du choix de leur méthode d’enseignement. Si les choses étaient restées en l’état ces éducateurs auraient été contraints d’adopter des méthodes pour lesquelles ils n’étaient nullement préparés, ce qui aurait été désastreux. « Pour accomplir la tâche qui lui est désormais confiée, l’enseignant est désormais libre de choisir le type de pédagogie qu’il juge le plus en accord avec sa préparation et ses capacités... »
 
Mais 2e point important : « La liberté de choix de l’enseignement est toutefois conditionnée par l’option collective qu’a prise l’équipe de professeurs dont il fait partie ».
 
Ce qui constitue, explique le Ministre, une sorte d’autogestion pédagogique de l’école.
 
« Ce règlement doit permettre “chaque école de devenir une unité vivante, un milieu dynamique cohérent, auquel le Ministre de l’Education n’entend pas imposer de conformité ‘un stéréotype établi d’avance’.
 
Certains groupes resteront fidèles aux méthodes traditionnelles ; d’autres opteront pour une transformation radicale. ‘D’autres enfin, tenant compte des risques que comportent les mariages hâtifs entre méthodes traditionnelles et méthodes modernes, adopteront une démarche progressive par l’introduction de techniques nouvelles, par la mise sur pied d’une classe-pilote…’
 
Nous ne savons pas ce que peuvent donner ces décisions au Canada. On me dit que les changements de postes ne sont pas là-bas subordonnés à des règles et barèmes et que les éducateurs s’agrègent mieux comme ils l’entendent aux écoles de leur gré et qu’il est possible de ce fait, que les nouvelles dispositions facilitent l’instauration d’écoles témoins. Une telle décision serait catastrophique pour la France puisque l’action de francs-tireurs de nos camarades serait radicalement proscrite, partout, par l’unité pédagogique souveraine.
 
En fait, le destin pédagogique de ces équipes d’enseignants sera toujours fonction du recyclage de la majorité d’entre eux. Tant qu’ils ne se sont pas initiés aux techniques modernes, tant qu’ils ne les ont pas pratiquées pour s’en pénétrer, les éducateurs sont hostiles à la pédagogie moderne. Et ils n’ont pas tort : comment abandonner une pédagogie qu’on a pratiquée de tout temps, pour une autre qu’on ne connaît pas et où l’on risque trop d’échouer lamentablement ?
 
Favorable ou non, la décision du Ministre canadien laisse absolument intact le problème du recyclage. Et ce recyclage ne peut se faire que par l’organisation de stages accélérés où les éducateurs pourront s’entraîner à une pédagogie nouvelle qui pourra alors montrer dans la pratique sa supériorité.
 
Quant à nous, conscients des difficultés mais aussi des possibilités de ce recyclage, nous restons à la disposition des responsables de la modernisation canadienne pour aider pratiquement et techniquement à la délicate évolution de l’enseignement canadien.
 
C.F.
 

 


La visite aux parents : son rôle dans l'éducation socialiste

Novembre 1965
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Flashes sur la pédagogie Internationale

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HIROSHIMA, 6 Août 1965 ou VINGT ANS APRES

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