L'Educateur n°3 - année 1968-1969

Novembre 1968

Notre position vis-à-vis de l'administration en général, des Inspecteurs primaires et Professeurs en particulier

Novembre 1968

NOTRE POSITION

vis-à-vis de l'administration en général, des Inspecteurs primaires et Professeurs en particulier

Céîestin FREINET

« L'administration, —faisait remarquer tout récemment un Inspecteur d'Académie en me présentant dans une conférence, — vole toujours au secours de la victoire. » Puisque l'administration vient à nous aujourd'hui, c'est que nous avons remporté une première manche. Pourquoi en serions-nous marris ?

Nous n'avons aucune raison d'être ni contre l'administration, ni contre ses représentants. Lorsque ceux-ci reconnaissent l'utilité, la nécessité de nos efforts, le désintéressement et la sincérité de nos recherches, pourquoi ne joindrions-nous pas sans réserve nos efforts aux leurs ? Il ne nous déplaît nullement de voir telle de nos initiatives soutenue ou recommandée par les officiels, par des Directeurs d'Ecoles Normales et des Inspecteurs, Au contraire. Pourquoi, dans nos commissions de travail, et, demain, dans, notre Institut, les Inspecteurs Primaires notamment qui sont directement mêlés à toute notre activité, ne seraient-ils pas à côté de nous, sans réserve ?

Seulement nous insistons sur l'esprit nouveau qui préside et présidera à cette « collaboration. »

Le syndicalisme a libéré administrativement les Instituteurs. Lorsque le Secrétaire syndical s'en va à l'Académie remplir sa fonction de défense des intérêts des Instituteurs, il n'a plus une position mineure. Il parle et il traite d'égal à égal avec les représentants de l'autorité, ce qui n'exclut pas forcément le respect et la déférence. Quand nous discuterons soit en classe, soit à la CEL ou à l'Institut, nous serons, nous aussi, définitivement débarrassés de ce complexe d'infériorité qui a marqué la période aujourd'hui révolue de l'omnipotence des Inspecteurs. Nous discuterons d'égal à égal, chacun avec notre connaissance et nos expériences, les Inspecteurs apportant les leurs, nous, faisant valoir sans cesse les droits définitifs de l'expérience et de la réalisation.

Il n'y a d'ailleurs pas deux façons de coopérer. Si des Inspecteurs prétendent organiser un groupe d'étude ou même un groupe d'éducation nouvelle et si, dans ces groupes, ils restent les chefs qui, moralement tout au moins, imposent leurs points de vue, il n'y aura aucun travail effectif parce que vous réaliserez seulement les conditions de l'ancienne école où le maître commande et fait appel en vain à l'initiative et à l'intérêt de ses élèves. C'est parce que cette libération effective n'est pas réalisée que les initiatives les plus hardies parfois de l'administration ne parviennent pas à être un travail de masse. C'est parce que cette libération est réalisée chez nous, que les Instituteurs quels qu'ils soient peuvent librement s'exprimer, critiquer, désapprouver, suggérer, que nous avons afflux, croissance, enthousiasme et dévouement.

Alors, nous le disons franchement à MM. les Inspecteurs qui se disent partisans de l'éducation nouvelle : nous ne travaillerons intimement avec vous que dans la mesure où vous aurez réalisé, dans vos rapports professionnels avec les Instituteurs, cette même révolution pédagogique que nous avons réalisée dans nos classes, que si vous n'êtes plus les chefs autoritaires, mais les collaborateurs, les aides, les guides ; si vous ne venez pas seulement dans nos classes ou dans nos réunions pour nous critiquer, nous jauger et nous juger, mais pour nous aider techniquement à mieux faire comme nous en avons le désir.

Si vous n'avez pas réalisé cette révolution indispensable dans votre comportement, vous aurez notre obéissance polie — et encore souvent n'obéirons-nous, comme les élèves, que du bout des lèvres — vous n'aurez pas cette adhésion enthousiaste et sans réserve qui, seule, soulève les montagnes.

Mais si vous parveniez à opérer ce redressement pédagogique, comme nous avons opéré le nôtre, alors quelle victoire, et que de choses nous pourrions réaliser en commun! Vous seriez le trait d'union pédagogique entre les instituteurs, l'accoucheur de leurs idées, le conseiller dont on souhaite la venue ; les Instituteurs vous demanderaient comme nos enfants sollicitent nos conseils éclairés et l'appoint de nos connaissances techniques. Seulement, vous saurez aussi ne pas vous enorgueillir, seuls, des réalisations obtenues, vous saurez vous intégrer à la masse au sein de laquelle vous agirez comme ferment.

Ne craignez ni pour votre autorité ni pour votre prestige. Nous rassurons de même les éducateurs au seuil de nos méthodes. L'époque de l'autorité extérieure sans fondement intime est bien révolue. Vous avez, comme nous, abandonné chapeau melon, redingote et manchettes. Vous arrivez tout suant à bicyclette et vous quittez votre veste ; ou bien vous êtes, comme nous en été, en simple chemise Lacoste. Cela vous aurait déshonorés autrefois. Encore un tout petit sacrifice et vous serez dans votre rôle véritable dont nous appelons de tous nos vœux l'avènement.

Si je me permets de donner des « conseils » à MM. les Inspecteurs qui sont nos amis, c'est parce que j'ai l'expérience de nombreuses collaborations qui, sur ces bases, ont, dans bien des circonscriptions, donné leur plein effet.

Il est anormal, illogique et irrationnel que l'école moderne s'édifie sans la participation totale et éclairée du corps des Inspecteurs ; comme il était anormal, illogique et irrationnel que, jusqu'à ce jour, Inspecteurs et Directeurs d'Ecole aient le monopole effectif de l'orientation pédagogique. Les Inspecteurs Primaires et les Directeurs d'Ecole ont leur place éminente chez nous ; leur absence ferait un vide regrettable que nous avons intérêt à combler au plus tôt.

Il y a du travail pour eux aussi : plus que pour d'autres encore, puisque ils ont une autre expérience et d'autres responsabilités. Nos revues leur sont ouvertes au même titre qu'à tous les autres travailleurs. Ils participeront au travail de nos commissions j ils seront dans nos Congrès — et ils n'y seront pas les premiers d'ailleurs! Ils n'y seront ni en sous-ordres, ni en chefs. Ils y prendront comme nous tous la place que leur vaudront leurs compétences, leur compréhension et leur dévouement.

Vous penserez peut-être: « Ah! s'il n'y avait pas ce Freinet... S'il y avait à la tête du mouvement quelque secondaire, quelque professeur, quelque intellectuel décoratif! »

Tranquillisez-vous ! Freinet n'est point le chef mais un ouvrier de la grande œuvre pédagogique parmi les autres ouvriers. Une ère nouvelle est commencée ; n'attendez pas qu'elle vous impose ses lois. Prenez hardiment mais résolument votre place!

Vous êtes actuellement en France des centaines d'Inspecteurs Primaires compréhensifs et d'avant-garde. Il vous suffit de faire encore un pas. Nous en ferons dix, nous, et nous nous rencontrerons, non pas pour quelque révérence académique, mais pour nous serrer loyalement la main et nous mettre au travail.

Vous saurez alors montrer aux Instituteurs qui attendent votre geste, à la masse des éducateurs et aux parents eux-mêmes, ce que vous êtes capables de réaliser, avec les Instituteurs sur lesquels vous pourrez alors compter à 100%,

Et si certains Inspecteurs ne comprennent pas ; s'ils ne tolèrent que du bout des lèvres nos innovations pédagogiques ; s'ils prétendent parfois même nous les interdire ?

Là, nous voudrions rappeler à nos camarades qu'ils ont malgré tout entre les mains des éléments de défense et qu'il s'agira de voir alors lequel des deux, de l'Inspecteur ou de l'Instituteur, respecte l'esprit des Instructions ministérielles. Les Instituteurs se sont organisés pour leur défense administrative. Et tout le monde trouve aujourd'hui cela normal. Pourquoi ne s'organiseraient-ils pas de même pour leur défense pédagogique ?

Notre Institut sera dans ce domaine le pendant du Syndicat pour ce qui concerne la défense administrative et professionnelle.

Nous nous référerons donc, de plus en plus, aux Instructions ministérielles auxquelles nous tâcherons de nous conformer mieux que les éducateurs qui n'ont pas encore franchi le cap de la routine. Et nous saurons faire prévaloir nos points de vue officiels.

C. FREINET

L'Educateur, 15 février 1946

 

Fidélité à l'oeuvre commune

Novembre 1968

 

Nos relations avec l'administration

Novembre 1968

« Il est des moments dans la vie des hommes — et dans celle des organisations — où certaines prises de positions sont indispensables si l'on veut continuer un chemin efficace de loyauté et de droiture.» (1)

Indiscutablement, mai 1968 — qu'aucune force de ce pays ne saurait effacer — fait une obligation, à chacun de nous et à notre mouvement, de nous affirmer face aux courants de pensée de la masse enseignante, des masses travailleuses, du régime capitaliste et de sa culture. Nous avons à maintes reprises indiqué déjà notre position d'éducateurs du peuple dans le vaste complexe social et politique, mais tout spécialement nous voudrions préciser notre position vis-à-vis de l'administration en général et des inspecteurs en particulier.

Chacun de nos militants sait — par le fait même qu'il est éducateur et militant — que sa position ne saurait être différente de celle de toujours, de celle que Freinet précisait dans un article de 1946, dont un passage est donné en leader à ce numéro de notre toujours vaillant Educateur.

Il nous faut redire encore, au préalable, qu'aucun mouvement n'est aussi ouvert que le nôtre à toutes les bonnes volontés qui, sous les idéologies les plus diverses, concourent au même but : la rénovation de l'Ecole du Peuple. A l'encontre de la plupart des organisations que nous critiquons quelquefois, nous ne sommes pas soumis à des mots d'ordre venus du sommet ; mais au contraire, c'est toujours à la base, dans l'expérience vive, que nous accordons nos actions collectives ; pour que, d'abord, les problèmes posés dans la pratique scolaire et sociale trouvent solution ; pour que se raffermisse l'unité organique et l'unité morale de notre mouvement,

La preuve de cet état de fait est que, de plus en plus nous allons vers la décentralisation, pour puiser sans cesse nos mots d'ordre d'action dans les exigences de la vie enseignante et sociale ; alors que, au contraire, plus que jamais, les chefs sans troupes ne cessent de claironner théories et mots d'ordre que personne ne suit, car ce n'est pas seulement avec des théories et des mots d'ordre que l'on fait avancer les choses.

Nous sommes, nous, dans un secteur où les choses avancent ; car nous avons les moyens de les faire avancer puisque nous avons en mains outils et techniques devenus scientifiquement rentables ; dont l'efficience et la valeur donnent la mesure d'une pédagogie de l'action et du travail qui ne peut plus être suspectée, puisqu'au long des décennies et auprès de dizaines de milliers d'éducateurs, elle a donné sa mesure. Une mesure qui ne sera jamais exhaustive mais toujours perfectible et amplifiée à l'image même de la vie qu'elle sert. La conquête courageuse et lucide d'une telle pédagogie nous a donné plus encore qu'une manière d'enseigner : une conscience de classe, de solides disciplines intellectuelles, sobres, strictes, éloignées des paraphrases boursouflées qui servent d'emballage aux idées creuses des clercs, se plaçant prétentieusement au-dessus de tout pragmatisme.

Depuis toujours, Freinet a dit et redit ces vérités qu'aujourd'hui plus que jamais il faut proclamer ; car elles font partie de notre patrimoine militant et culturel et qu'elles signent la valeur, pour nous primordiale, de notre indépendance.

Nous le savons, plus que tous autres enseignants ayant gardé leurs illusions réformistes : il ne s'agit plus désormais de « perfectionner » l'enseignement, mais de le changer de fond en comble ; de le rendre combattant en-lui redonnant cette offensive sociale et culturelle qu'exige la société socialiste que nous rêvons et à laquelle, dès à présent nous devons préparer l'adaptation de l'école d'aujourd'hui.

« Nous n'avons d'ailleurs pas la prétention de détenir le monopole de cette adaptation ni de fixer prématurément les formes d'une vie scolaire dont le dynamisme est la grande loi pédagogique. » (2)

Nous prenons simplement nos responsabilités par rapport à ce qui a été réalisé par la Pédagogie Freinet que l'actualité semble promouvoir à être une pédagogie de masse. Nous avons pris conscience que nos organismes de travail, nos groupes de la base et ceux hiérarchisés dans le perfectionnement incessant de notre pédagogie, ont créé des noyaux de stabilité, des forces créatrices, des courants de pensée appelant des recrues jeunes et enthousiastes. Et qu'ainsi est mise en marche une dynamique d'action qui déjà, fait pressentir une humanité de plus grande vérité qui réhabilitera l'homme et tous ses pouvoirs.

C'est parce que nous sommes habités par cet optimisme qui doit être la vertu première de l'éducateur, que nous ne pouvons plus, à aucun prix, faire machine-en-arrière, car ce qui a été gagné contre vents et marées ne saurait être perdu.

A ce niveau d'exigences, nous faisons face — et aussi, souvent, nous faisons front — à une administration qui, bien que rétrograde, entend conserver ses anciennes prérogatives d'autorité et de traditionalisme vaguement camouflées en rénovations à la mode du jour, et pour lesquelles elle pense sans doute que nous consentirions à jouer les bons apôtres...

Non, nous nous sommes mobilisés non pour entretenir un confusionisme qui prendrait à nouveau les formes mêmes d'une culture que nous récusons, mais pour faire surgir, dans la situation scolaire, des antagonismes de besoins, d'idées, d'actions qui doivent inévitablement s'opposer à la stabilité illusoire d'une école que des administrateurs, précautionneusement restés sur l'expectative en mai 68, tenteraient aujourd'hui de rétablir sous la fallacieuse autorité hiérarchique.

Cela ne veut pas dire, d'ailleurs, que nous devions bouder les sous-commissions d'étude et de recherche proposées par les récentes conférences pédagogiques. Mais qu'au contraire, forts de notre acquis, nous devons en devenir les animateurs. Pour resituer sans cesse les problèmes pédagogiques dans ce pragmatisme qui a assuré notre avance historique ; qui ne peut être démonstratif, convaincant, enthousiasmant que par l'excellence d'une pédagogie qui a l'ampleur de l'expérience scientifique et qui répond aux aspirations du peuple.

Il va de soi que nous ne pouvons travailler dans de telles commissions que dans la mesure où notre expérience peut y porter ses fruits j dans la mesure aussi où nous y rencontrons la masse des instituteurs que nous voulons rassurer, aider et convaincre ; dans la mesure encore où nous y trouverons la sympathie et la compréhension des inspecteurs qui ont pris conscience de leurs responsabilités dans le drame éducatif qui, en menaçant l'avenir de l'école populaire, menace du même coup leur autorité hiérarchique et humaine.

De deux choses l'une :

— ou les inspecteurs ont compris que le seul remède au chaos est d'entrer résolument dans une pratique pédagogique qui apporte des solutions valables aux problèmes les plus brûlants et ils ne peuvent donc qu'encourager et aider les praticiens du rang qui les ont devancés ;

— ou ils ne sont pas encore dégagés des notions fausses de hiérarchie administrative et de pédagogie traditionnelle, verbale, et tentent de se maintenir sur les tréteaux en jonglant avec une autorité dont ils ne sont plus dignes et dans ce cas ils ne peuvent que préparer non la collaboration mais le conflit inévitable.

Nos camarades, à la base, savent d'ailleurs d'emblée, faire le point de la situation : avec ou sans les inspecteurs ils continuent leur militantisme d'entraide pédagogique, soit dans les sous-commissions créées dans la collaboration loyale des chefs et des enseignants, soit dans des commissions — qui ne sont pas sous-commissions mais commissions franches et nettes — créées hors de l'administration, dans le "Vaste chantier de l'école populaire au travail.

De nombreux témoignages nous arrivent, de décisions prises spontanément sur le tas : à l'instant où la conférence ex-cathedra finie, l'auditoire doit opter ou pour les fausses sous-commissions mises en place pour continuer l'éternel blablabla des discussions oiseuses, ou pour de réelles commissions de travail, extérieures au circuit administratif et pour lesquelles nos classes modernes servent de lieu de travail effectif et de discussions justifiées. Là, toute démonstration se raccorde à des techniques, à des actes, à des résultats patents ou à des erreurs possibles qui font partie d'un complexe de rénovation pédagogique. Les instituteurs qui, déjà, ont fait le pas décisif puisqu'ils viennent vers nous, découvrent progressivement que par les techniques Freinet, l'on se situe d'emblée, bien au-delà de cette trouvaille de vocabulaire appelée pompeusement « discipline d'éveil » pour masquer l'impuissance à aller au-delà, au cœur même d'une compréhension qui exige la certitude parce qu'elle ne triche pas avec la vie mais au contraire, la sert.

Nous disons ; « C'est la masse des instituteurs que nous devons, aujourd'hui, mobiliser pour notre essentiel combat, en préparant soigneusement les têtes de ponts principales, en jetant sur le fossé les passerelles qui permettront aux timides eux-mêmes de rejoindre sans plus tarder le gros des troupes de la nouvelle éducation populaire. » (3)

Mais ceci étant et vu l'immobilisme et l'indécision des sphères enseignantes à tous les degrés, il est un droit que tout praticien instructeur ou en recyclage doit obtenir : c'est le droit à la reconnaissance légale de son travail pédagogique de recyclage. De l'intégration des heures qu'exige son recyclage aux horaires administratifs. De l'octroi légal de journées de stage indispensables à ce recyclage. D'une indemnité de recyclage — légalement octroyée au niveau des Facultés, des Universités, des entreprises — pour tout instituteur désireux d'appliquer dans sa classe les instructions ministérielles en faveur de la réforme de l'Enseignement,

En liaison avec les syndicats, à la base et au sommet, unis à la grande masse des travailleurs de l'Enseignement, nous revendiquerons inlassablement ces droits indispensables à l'exercice d'une fonction dont dépend une étape décisive dans l'évolution de l'école publique : la modernisation.

En ce qui nous concerne, nous ne nous faisons aucune illusion sur l'aide que nous pouvons attendre d'administrateurs qui, ayant perdu toute autorité et tout prestige pédagogiques trouveraient fort commode de profiter de notre avance et de notre influence. Dans un domaine qui, administrativement est le leur et dans une science banqueroutière qu'ils ont préparée de longue date, nous n'apporterons pas les bouées de sauvetage susceptibles de minimiser le naufrage. Si nos camarades savent s'imposer travail supplémentaire, sacrifices et parfois héroïques combats pour faire triompher leur idéal, ils n'accepteront jamais que leur militantisme généreux supplée à l'incapacité et à l'irresponsabilité d'une Education Nationale, indifférente à l'école du peuple, parce qu'asservie aux ordres d'un régime d'exploitation des masses populaires.

C'est parce que nos praticiens, sans cesse harcelés par les exigences de l'action militante, presque toujours contrés par des chefs qui, loin de les aider, s'emploient à leur mettre sans cesse des bâtons dans les roues, sont conscients de ces réalités que va s'instaurant, un procès que chaque praticien a le droit d'instruire. Nous établirons au grand jour le Livre Blanc de nos misères, de nos impuissances à faire honorablement, dignement, humainement, notre noble métier d'éducateurs. Nous ferons la preuve que tous les malheurs qui incombent à l'école publique sont la conséquence d'un système administratif tout entier soumis à l'hypocrisie de la fausse démocratie, de la fausse culture, de la fausse science, et à la mystique de la fausse autorité.

Nous ne disons pas que le rôle des inspecteurs sera désormais facile ! Les voilà pris entre deux feux, dans une situation asses bouffonne car, à la base comme au sommet, on leur claironne les prescriptions immédiates d'une réforme qui — des ordres d'en haut, au vigoureux militantisme d'en bas — doit prendre forme coûte que coûte. Vont-ils désobéir aux directives ministérielles eux qui n'ont de sécurité qu'en regard du Ministre qui peut les couvrir?

Vont-ils répondre à la voix des subordonnés vigilants qui peu à peu entraînent les résistances de leurs collègues, eux qui n'ont tenu leur autorité que de l'illusoire hiérarchie administrative?

Ici, plus encore qu'ailleurs, tout dépend de la valeur de l'homme. Sera digne de sa fonction, l'administrateur qui rejettera le personnage métaphysique du clerc pour prendre contact avec les réalités les plus humbles de l'école populaire, avec les actes les plus efficaces des maîtres, avec le flot des enseignants soucieux de reconsidérer leur enseignement, avec les parents inquiets de l'avenir de leurs enfants.

En ce qui nous concerne, chaque fois que des rapports humains pourront s'établir entre administrateurs et administrés, nous faciliterons toujours les contacts de réel travail, d'entraide souhaitable pour la réadaptation de l'école publique et de ses maîtres à une forme nouvelle d'humanité et de savoir. Forts de notre expérience, nous ferons la preuve que notre pédagogie exige un style d'inspection qui doit rompre définitivement avec l'inspection-couperet du « patron » faisant irruption dans la classe comme le policier surprend le gang des voleurs. Nous ferons à l'usage des instituteurs un memento dans lequel seront consignées les notions essentielles des instructions ministérielles ; pour imposer une modernisation de l'inspection ; pour lutter pied à pied, sur les lieux mêmes de notre travail, contre le retour à la scolastique et à l'autoritarisme ; pour une synthèse nouvelle de travail qui donne la priorité à celui qui fait et non à celui qui démolit.

C'est parce que nos camarades vivent chaque jour les difficultés qui résultent des obstacles administratifs, qu'ils savent prendre résolument leurs responsabilités face à l'immobilisme ou à l'opposition d'administrateurs maintenus par erreur en place, dans une période de grand branle-bas de rénovation. Nous ferons désormais, régulièrement dans notre Educateur, le point des innovations venues de la base et qui souvent n'ont pu sortir de l'impasse qu'en enfonçant le mur. Nous dirons comment ils peuvent faire face et répondre à la grande quête de leurs collègues traditionnels désireux à leur tour de faire du neuf. Comment surtout, ils ont donné aux jeunes les moyens de démarrer en prise, pour que déjà dans l'actualité se prépare la relève.

L'administration va-t-elle nous refuser ce droit d'accueil en prétextant des règlements vétustes, des considérations de mandarinat plus ou moins agressif, des risques à courir auprès de notoriétés locales, bref, de tous ces arguments qui signent à l'habitude la capitulation inévitable?

C'est possible dans certains fiefs où se retranche farouchement le byzantinisme des fausses valeurs. C'est moins certain dans d'autres régions socialement plus ouvertes à la démocratie sociale et politique.

Quoi qu'il en soit, une chose est certaine : historiquement, l'administration ne peut jouer son rôle qu'en s'associant aux grands élans populaires qui sont les signes avant-coureurs de l'effondrement d'un régime et de l'apparition d'un autre monde. Avec ou sans les inspecteurs nous irons de l'avant. Intégrés toujours à la complexité sociale, nous ne cesserons de convaincre nos collègues et les parents d'élèves de l'efficacité de notre métier d'éducateur revalorisé par la totalité de notre pédagogie. De les convaincre, non par des mots, mais par l'évidence d'un progrès qui, à lui seul ouvre les voies salutaires d'un changement profond de la société tout entière. Nous mettrons dans notre militantisme toute notre foi, notre ardeur, mais aussi une totale humilité, persuadés que nous sommes, que ce qui compte est toujours au-delà de ce qui est fait ; que ce que nous avons fait est à la portée de tout le monde et que d'autres inévitablement, feront mieux et iront plus loin que nous n'avons pu le faire.

Car « la pédagogie est plus simple que ne voudraient nous le faire croire les littérateurs. Ce sont le verbiage et la spéculation qui compliquent et embrouillent. C'est par l'action toujours que s'éclaire l'esprit et qu'apparaît, dans sa lumineuse nécessité, plus intuitive peut-être que scientifique, mais sensible, simple, a la portes de tout le monde, la pensée nouvelle que poursuivent en vain les théoriciens.

Nous rejoindrons d'ailleurs un jour les théoriciens restés à l'écoute de la vie, mais par la voie matérielle et sensible plus que par ta voie spéculative. Et nous aurons alors, derrière nous, la grande masse des éducateurs qui comprendront enfin et qui surtout, seront en mesure de réaliser ce qu'ils auront senti et compris, d'améliorer le tracé et la contexture des pistes pour en faire des chemins sûrs où pourront s'engager, avec confiance, les bons ouvriers de l'avenir, » (4)

Elise FREINET

(1) C, Freinet : Educateur, 15 février 1946.
(2) C, Freinet : L'Ecole Moderne française, p, 11.
(3) C. Freinet : L'Ecole Moderne française.
(4) C, Freinet : L'Educateur Prolétarien,

 

 

Rénovation pédagogique dans un groupe de 28 classes

Novembre 1968

 

Premières réflexions d'une institutrice débutant en pédagogie moderne

Novembre 1968

 

Les plans de travail - Compte-rendu d'utilisation au cycle d'observation

Novembre 1968

 

Le Tâtonnement Expérimental processus universel d'apprentissage (3) - Tâtonnement et feed-back

Novembre 1968

« La vie est. C'est le seul fait incontestable. Ce n'est point parce que nous ne pouvons point encore remonter à sa genèse et sentir son intégration à la matière, que nous essayerons d'en faire fi, d'en minimiser la portée ou d'en escamoter le dynamisme,

...A l'origine, l'homme porte en lui un potentiel de vie, tout comme les êtres vivants échelonnés dans la hiérarchie zoologique, tout comme le grain de blé ou la plus infime semence et ce potentiel de vie anime la créature d'un invincible élan, la lance en avant vers la réalisation puissante de sa destinée,

...La vie n'est pas un état mais un devenir. C'est ce devenir qui doit expliquer notre psychologie, qui doit influer et diriger notre pédagogie. » (1)

C'est cette notion de devenir qui va tout spécialement marquer la supériorité de l'être vivant sur la machine cybernétique, serait-elle la plus perfectionnée. C'est ce devenir qui va aussi différencier à son avantage le tâtonnement orienté du feedback de la mécanique : la vie suscite en effet un au-delà de l'instant présent, un futur à explorer qui n'est pas dans les possibilités de la machine, outil exclusif du présent.

Ceci dit simplement eu égard à la nature des choses, sans préjuger des avantages de rendement et d'information pour lesquels les machines cybernétiques dépassent de façon stupéfiante dans l'immédiat, l'efficacité humaine. Nous nous en tenons, pour ce qui nous concerne, au problème spécifique et simple de l'éducation dans lequel une conception dynamique de la vie est déterminante. 

Quelle contribution la cybernétique peut-elle apporter à la psychologie et par voie de conséquence, à la pédagogie?

C'est là une question qui a retenu longuement la réflexion de Freinet : elle devait étayer l'un des aspects du Tâtonnement Expérimental dans une dernière et vaste synthèse de toute son œuvre psycho-pédagogique. Le destin ne permit pas, hélas ! l'éclosion de ce livre essentiel.

Dans la mesure où j'ai été associée à la pensée profonde de Freinet, où dans un travail de secrétariat, j'ai participé à la recherche des matériaux théoriques et pratiques nécessaires à la généralisation de son postulat initiai, dans la mesure aussi d'une collaboration étroite pour tous projets mis en chantier, je veux essayer d'apporter ma contribution bien modeste à l'œuvre inachevée. Ma tentative n'aura d'autre but que d'ouvrir quelque peu l'horizon d'une théorie que nos camarades ont tendance à ne considérer que sous un angle de simple pratique pédagogique. Il va de soi que j'espère susciter ainsi les réflexions et surtout les critiques indispensables à une œuvre qui, dès ses origines est apparue si féconde de contenu et d'applications pratiques, si riche d'une dialectique nouvelle, qu'elle semble appelée à révolutionner les domaines de la psychologie, de la pédagogie et donc de la philosophie.

La spécialisation imposée par l'ampleur des connaissances humaines — mais qui cantonne chaque chercheur et praticien dans un domaine nettement délimité et isolé d'un ensemble qui cependant le concerne — s'oppose dangereusement à une interpénétration des techniques parallèles, La cybernétique n'a vu le jour que parce qu'elle a résolument brisé son isolement spécifiquement technique pour s'associer, si l'on peut dire, aux réactions humaines, à la vie : elle devint « la science qui rapproche mécanique et neurologie », rapprochement né du « parallélisme frappant entre certains troubles du système nerveux et les dérèglements des régulations mécaniques. » Dès lors un pont fut jeté entre la machine et la vie et il en résulta « une mutuelle fécondation de la mécanique et de la physiologie. »

Le livre remarquable de Pierre de Latil, La pensée artificielle (2), en est une saisissante démonstration. Il fait comprendre les prodigieux horizons encore jamais imaginés qui s'ouvrent au carrefour de toutes les sciences humaines et quelles révolutions sont prêtes à surgir d'une découverte qui, avançant à pas de géant a, en quelques dizaines d'années, bouleversé toute l'humanité. L'homme de science, le poète et le philosophe vibrent d'enthousiasme dans cet ouvrage qui se situe au seuil d'un avenir qui ne saurait hélas ! nous rassurer sur les pouvoirs de l'homme,

« Tout est parti de cette simple idée, écrit P. de Latil, que la vie peut être sinon expliquée, du moins approchée par des raisonnements et des expériences à démarches mathématiques. L'idée, cependant, était loin d'être neuve. Claude Bernard, dont tant de vues triomphent dans la cybernétique, n'a-t-il pas écrit : les organes nerveux ne sont rien autre chose que les appareils de mécanique et de physique créés par l'organisme. Ces mécanismes sont plus complexes que ceux des corps bruts mais ils n'en diffèrent pas quant aux lois qui régissent leurs phénomènes. C'est pourquoi, ils peuvent être soumis aux mêmes théories et étudiés par les mêmes méthodes. »

« Et si, poursuit P. de Latil, comme l'a dit Poincaré « les grands progrès se reproduisent lorsque deux sciences se rapprochent, lorsqu'on a pris conscience de la similitude de leur forme malgré la dissemblance de leur matière » quels progrès ne doit-on pas attendre de l’interfécondation des sciences biologiques et mathématiques ? »

Notre propos, à notre niveau primaire, n'entrevoit pas de si nobles perspectives. Mais, à la suite de Freinet, nous sommes tout de même heureux de nous trouver au point (il serait mieux de dire au rond-point) où s'ouvrent les radieuses et nouvelles voies de l'avenir philosophique. Et cet avantage nous vient très certainement de la situation privilégiée qu'a eue Freinet de pratiquer à la fois plusieurs métiers, mettant à sa disposition, en permanence, les similitudes fondamentales de leur empirisme intelligent eu égard à la vie. Berger, paysan, éducateur, bricoleur et penseur — par obligation artisanale — Freinet était à son rang, une sorte de personnalité polytechnique à la hauteur de toutes les situations de la vie quotidienne. Il n'en fallait pas plus pour que se forme un esprit aux démarches d'abord synthétiques, toujours orientées dans le sens dynamique de la vie ; qui ne pouvait donc rester indifférent aux perspectives qu'ouvrait la cybernétique en liaison avec les êtres vivants : « Tout se passe, écrivait-il dans le premier chapitre de son Essai de Psychologie sensible, comme si l'individu — tout être vivant — était chargé d'un potentiel de vie, dont nous ne pouvons pas encore définir ni l'origine, ni le but, qui tend non seulement à se conserver, à se recharger, mais à croître, à acquérir m maximum de puissance, à s'épanouir et à se transmettre à d'autres êtres qui en seront le prolongement et la continuation. Et cela non pas au hasard, mais selon les lignes d'une spécificité qui est inscrite dans le fonctionnement même de l'organisme et dans la nécessité de l'équilibre sans lequel la vie ne pourrait s'accomplir. »

Ainsi, l'être vivant est tout comme la machine un organisme auto-régulateur, auto-créateur et il est de ce fait intéressant de rechercher les raisons de similitude et de différences de l'un et de l'autre.

Mais déjà, Freinet met en évidence la similitude des organismes avec les mécaniques auto-régulatrices, et plus encore la supériorité de l'être vivant sur la machine ; car il ne s'agit pas seulement d'un simple fonctionnement d'organes mais d'une trajectoire de vie intimement organisée entre des antécédents irrécusables, et un devenir qui en dépend : passé, présent, avenir accumulent les caractères stables de l'espèce qui détermine une unité globale et définitive dans le temps et une dialectique de la nature. C'est tout l'immense problème de l'évolution qui se profile à l'appui de ces simples constatations de bon sens formulées par Freinet. Nous sommes ici à l'échelle de la Création dont Lamarck, le premier, a dessiné le prestigieux et saisissant déroulement et dont Teilhard a redit le poème lyrique en des termes inoubliables, impliquant une orientation, une ligne de perfectionnement et de progrès.

La machine, il est vrai, peut, elle, c'est son rôle, aller vers le progrès comme le montre l'évolution foudroyante de la cybernétique, mais elle restera quelle que soit sa perfection, un élément d'un présent très limité, dépendant toujours de la vie souveraine qui la construit, l'anime, lui commande une suite d'actes coordonnés en vue d'une finalité donnée et inéluctable ; l'inventeur se fixe un but que la machine ne dépassera pas. C'est un déterminisme à court terme et soumis à une simple opportunité d'actions. C'est simplement dans cette opportunité d'actions, exigeant un strict comportement, que la cybernétique peut apporter un appoint considérable à la connaissance de l'être vivant ; une connaissance nouvelle qui doit obligatoirement rompre avec un passé qui, sur le plan biologique, ne nous a rien donné de sûr et de reposant : « Les méthodes histologiques et physiologiques d'analyse ont présentement donné ce que nous pouvions en attendre et l'attaque, pour progresser, doit être reprise sous un angle nouveau.,. Il semblerait que parvenus à une certaine profondeur d'explication, nous tournions, sans plus avancer, autour de quelque impénétrable réduit, » (3)

Cette constatation pessimiste de Teilhard est tout aussi valable pour la psychologie qui, quelles que soient les précautions prises et les explications données, n'en reste pas moins un moyen de compartimenter en fonctions supposées, le psychisme humain. Freinet, rompant avec la science officielle qui ne lui était d'aucun secours, s'en alla en franc-tireur vers les étendues inexplorées du comportement où déjà le behaviorisme avait délimité ses propres voies. A même la vie, dans la familiarité des événements de chaque être, de chaque groupe, de chaque espèce, il traça lui-même ses propres chemins dans lesquels il découvrit la sécurité de ce tâtonnement expérimental, démarche universelle de l'apprentissage de vivre. C'était aller vers la psychologie la plus simple, la plus naturelle et aussi la plus expérimentale par sa généralisation. Il en consigna les lois fondamentales dans son Essai de Psychologie sensible qui n'était à ses yeux qu'une ébauche ainsi qu'il le précise dans la préface du livre.

Ce n'est que tardivement, lisant des ouvrages sur la cybernétique — spécialement de Wiener, de Grey Walter, de Couffignac, de Pierre de Latil — que Freinet entrevit les similitudes et les différences du feedback et du tâtonnement expérimental. Il pensait en tirer d'utiles conséquences pour le renforcement de sa théorie globale et dynamique qui prendrait assise et structure sur une sorte d'étalon mécanique ; mais dont les mécanismes seraient dominés par l'homme et donc trouveraient explication adéquate.

C'est d'ailleurs là le but même des animaux artificiels créés en vue d'une recherche de psychologie humaine devenue compréhensible par la création de « modèles » mécaniques,

Freinet avait l'intuition que sa découverte du tâtonnement expérimental — ou mieux de ce qu'il avait appelé avec plus d'à-propos, l'expérience tâtonnée — lui donnerait quelque appui et quelque avance dans cette recherche commune avec les psychologues cybernéticiens créateurs de servo-mécanismes ou montages à réaction.

Dans une optique semblable de recherche, P. de Latil écrit :

« Comme ce montage semble jouer un rôle essentiel dans le système nerveux, on se trouvait au cœur du problème posé : l'intégration dans un mécanisme, d'une fonction normalement dévolue à l'homme.

Qu'est-ce qu'un feedback ? Pour l'instant, disons simplement que c'est un dispositif qui fait rétroagir un effet sur une de ses causes et permet ainsi à cet effet d'atteindre un but donné : les écarts entre l'effet réel et l'effet idéal sont traduits en une énergie qui est réintroduite dans le mécanisme et qui tend à toujours annuler les écarts mêmes dont elle est née. »

Nous dirons, nous, plus simplement, que c'est par tâtonnement que les machines s'auto-règlent par action en retours (processus de tâtonnement) dans le sens du but qu'on leur a imposé. C'est la finalité donnée à la machine qui règle la machine (comme c'est le but qui règle le tâtonnement), l'effet exigeant d'un de ses facteurs « qu'il se modère ou se renforce pour que l'effet reste stable. »

L'empirisme, au long des millénaires, n'a cessé de résoudre des problèmes de rétroaction mécanique : régler des facteurs pour obtenir un certain effet est à la base de tous les systèmes de traction, de levée de masses, de locomotion, de mécanismes à rendement, tel que le baille-blé signalé par P. de Latil, système de réglage du moulin, dans lequel le vent ou l'eau, tout comme la dureté du grain, jouent le rôle de facteurs variables, déterminant le débit du blé à moudre.

Freinet au cours de sa vie de praticien, sollicité par tant de projets d'outils nécessaires et à créer de toutes pièces, s'est trouvé au cœur des mécanismes de rétroaction dont sont sortis des inventions authentiques : machine à écrire, presse automatique, machine à frapper les adresses, charrue mécanique, cyclo-planeur, machine automatique à imprimer les bandes enseignantes et tant d'inventions encore restées à l'état de simples ébauches ! Faute de temps et surtout faute d'argent, la presque totalité de ces projets n'ont pu voir le jour, mais deux, du moins, sont entrés dans l'équipement technique de la CEL, grâce à nos « mécanos » qui en ont assuré la mise au point définitive. Il s'agit de la presse automatique et de la machine à imprimer les bandes programmées qui fait l'admiration de tous les techniciens qui l'examinent. Ceci dit pour constater que Freinet fut pendant une grande partie de son existence un constructeur de feedback élémentaires ou compliqués (feedback de feedback). Il était donc bien placé pour en comprendre le mécanisme et pressentir leur similitude avec les mécanismes humains mis à jour par l'expérience tâtonnée. Il savait que les organismes résolvent des cas de feedback à jet continu et que les actes de rétroaction sont caractéristiques de la période d'apprentissage : c'est dans cette période surtout h facteurs et effets variables que le feedback peut être comparé au tâtonnement expérimental.

« Je veux saisir, dit P. de Latil, une aiguille sur la table, mon geste coule, harmonieux, précis » par l'effet d'un réglage des centres nerveux, des muscles et de la vue pour atteindre l'aiguille au point où elle se trouve.

En réalité le feedback est ici dépassé car le réglage du geste a été fait dans sa perfection et ne laisse aucune prise à l'écart ou à l'erreur. Mais cet écart, avec rétroaction de facteurs sur l'effet final est visible chez le jeune enfant s'entraînant à la préhension des objets. Dans ce cas, on assiste à la correction de « l'erreur féconde qui conditionne le droit chemin. » Le droit chemin, c'est ce qui est acquis. Et c'.est seulement ce qui est définitivement acquis qui s'inscrit dans l'automatisme. C'est là le pouvoir de ['acte réussi qui va décider du processus le plus parfait de l'apprentissage. Mais dans les débuts, les gestes de l'enfant ne sont pas sûrs du résultat idéal : ils ne sont que des actions et réactions mécaniques opérant à la manière des feedback.

Il n'y a rien ici de raisonné, pas d'intervention d'une logique des gestes : « A l'origine, les recours physiques et physiologiques ne sont chargés d'aucun contenu cérébral ou psychique : ils s'effectuent par tâtonnement (feedback), ce tâtonnement n'étant lui-même à ce stade, qu'une sorte de réaction mécanique entre le milieu et l'individu A la poursuite de sa puissance vitale. » (4)

Nous allons revenir sur le contenu de cette loi.

(à suivre) Élise Freinet

 

(1) C. Freinet : Essai de Psychologie sensible, p. 1 et 2.
(2) Pierre de Latil : La pensée artificielle. N.R.F. 
(3) Teilhard de Chardin : Le phénomène humain.
(4) C. Freinet : Essai de Psychologie visible (sixième loi).

 

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