Le Nouvel Educateur n° 121

Septembre 2000

Comment expliquer...

Septembre 2000

" Comment expliquer qu'avec de moins en moins d'élèves, par classe l'école aille de plus en plus mal ? Près de 43 élèves en moyenne dans les maternelles en 1960, 25,5 aujourd'hui ; 29,8 dans le primaire à la même date, 22,4 aujourd'hui. Dans le secondaire, une baisse moindre, mais également incontestable. Anne Fohr indique que le budget de l'enseignement scolaire (primaire et secondaire) est passé en dix ans de 200 à 309 milliards, l'équivalent de l'impôt sur le revenu. Oh, bien sûr, comme on dit dans les cortèges, rien ne sera jamais trop cher pour l'avenir de nos enfants. Est-ce si sûr ? Le coût de l'éducation est en train de devenir exorbitant, avec des rendements décroissants. [...] Avec Allègre en moins et 10 milliards en plus, nous retrouverions pourtant l'insécurité dans les classes, le refus d'apprendre d'une partie des adolescents, l'inadaptation, voire l'inutilité d'une partie des enseignements, la misère morale du milieu éducatif... faute d'aborder en termes révolutionnaires la question de l'école de l'interminable école, vous allez vous décevoir vous-mêmes. Attention à la gueule de bois d'après-grève. "

Jacques Julliard paru dans le Nel Observateur n° mars 2000
 
Réaction :
L'école manque de perspectives éducatives. Et pourtant, la pédagogie Freinet constitue une réelle alternative aux difficultés actuelles de l'école. L'éducation EST un projet politique, au sens le plus pur du terme, celui de la place de l'homme dans la cité.
Oui, on a encore un long chemin à faire : approfondir nos pratiques, les rendre plus lisibles vers les extérieurs, nous confronter et apporter des réponses précises, adaptées aux réalités du terrain tout en traçant les trajectoires... 
Patrick Pierron

 

Comment informer les parents?

Septembre 2000
La réussite scolaire de l’enfant passe aussi par le renforcement des liens entre l’école et les parents. Qui plus est, l’originalité de nos pratiques éducatives ne nous oblige-t-elle pas le plus souvent à redoubler nos explications ? Martine Cancela-Castier * nous explique comment elle a mis en place « l’heure des parents » dans sa classe ; une pratique de communication tournée vers les parents dans laquelle les enfants jouent un rôle central.
 
 
Martine Cancela Castier exerce dans une classe de CE1 à l’école F. Dolto de Helfaut. Elle est militante du groupe Freinet du Pas-de-Calais.
 
 
Suite à la lecture de l'article du Nouvel Éducateur concernant l’heure des parents, je me suis lancée à imiter nos amis de l'école Brunschvicg-Rousseau dans le Nord pour la Semaine des parents à l'école. (1)
 
Après 9 années de maternelle, voilà 9 semaines que je suis au CE1 avec 27 élèves et ce matin du 13 Novembre 1999, nous recevons les parents ! 27 parents ont répondu présent (certains sont venus en couple... 5 enfants seulement n'avaient pas de parents représentés). Les parents sont déjà venus pour une réunion d'information dans la classe, un soir à 20 h. Ils étaient déjà venus nombreux, et la plupart sans leurs enfants.
 
Ce sont les enfants qui vont agir
Mais aujourd’hui, ce n’est plus moi qui mène la réunion. Ce sont les enfants qui vont agir. Il n'est possible de faire que des présentations et il faut que les 27 enfants s'expriment en... trois quart d'heure.
Depuis le début de l'année, les enfants se sont entraînés à présenter, mais là le public va être élargi, comment vont-ils réagir ?
La semaine précédant le jour J, nous avons réfléchi à ce que nous pouvions présenter, et pendant l'heure qui précédait certains se sont exercés.
Les enfants se sont inscrits sur une feuille qui a été accrochée au tableau pour qu'ils aient leur ordre de passage (encart page II).
Dès que les parent sont entrés, les enfants se sont levés et ont interprété la chanson de la sorcière que nous étions en train d'apprendre, ceci a permis à tous les parents de s'installer.
Nous avons commencé à l'heure juste, il n'y avait pas de temps à perdre…
 
Que présenter ?
- Une recherche sur notre école
Notre école s'appelle l'école Françoise Dolto et quelques jours après la rentrée Élisabeth nous avait apporté une photo de Françoise Dolto et Jérémy avait recopié chez lui un article dans le dictionnaire sur la vie de F. Dolto. Cela est devenu une page pour Notre Vie et la première présentation aux parents. (page III)
 
- Le cahier « Notre vie »
Deux autres enfants ont présenté leur page de Notre vie (page IV) :
Maxime, « Je suis allé à la fête du Parc », puis Rémy : « Avec maman, je cherche des dessins sur l'ordinateur ».
 
- L’organisation coopérative du travail
Ensuite, Jérôme, Elise, Hélène et Florent ont présenté le règlement de la classe.
Les quelques règles qui avaient été écrites depuis le début de l'année en fonction des différents problèmes rencontrés ont été ordonnées, puis commentées ; les enfants ont cherché les sanctions et réparations, ils ont ensuite signé le règlement et l'ont collé dans leur cahier d'éducation civique (Annexe ). Pour la présentation, un enfant a lu les principes fondamentaux, un autre a lu « nous avons le droit », un autre « les règles à respecter pour exercer ce droit », et le dernier a lu les sanctions en cas de non respect des règles (page V). Puis un enfant a montré son « permis » de respect des lois : une carte blanche avec son nom sur une face et sur l'autre face, les nombres de 1 à 10 (il y a dix règles de vie) (page VI).
Au début de chaque semaine la carte est vierge, puis au fur et à mesure des infractions, les enfants mettent une croix rouge en face du numéro correspondant à la règle qu'ils n'ont pas respectée. A la fin de la semaine, tous les enfants mettent des croix vertes en face des règles qu'ils ont toujours respectées et notent sur leur plan de travail une croix de couleur pour le respect des lois. Jérôme n'avait que des croix vertes sur sa carte...
 
- Un projet de la classe : la correspondance
Ensuite Chloé et Rémy ont présenté la lettre aux correspondants et les différentes cartes qui sont nos référents quand nous parlons de lieux. Cette lettre aux correspondants est la première. Elle explique bien tout ce que nous faisons dans la classe avec les mots des enfants. Il était donc intéressant de la présenter aux parents (page VII).
 
- Le travail individuel
Puis Thomas et Nathanaël ont manipulé pour expliquer le fonctionnement du « lexidata-sedidacta » et du cahier de travail individuel sur lequel les enfants notent leurs résultats. (page IV)
 
- S’exprimer devant les parents
Ensuite quelques enfants ont choisi de chanter et de dire des poésies : Dimitri, Julie, Jessica et Jason.
Le moment le plus fort de la réunion est arrivé ensuite : la présentation des textes écrits par les enfants avec questions des autres enfants et des parents ; ça a marché « du tonnerre ! » Suite à la première présentation, un enfant a demandé :
- On peut l'applaudir ?
Et tous les enfants qui ont présenté ensuite ont été applaudis : Perrine et sa copine, Antoine et sa carotte, Laura et ses enfants dans la forêt, Margot et son histoire vraie, Audrey et son histoire de chien inventée, Inès et son basket et enfin Louise avec son histoire d'aigle et ses réponses assurées… (page VIII)
 
Présentation de livres
Pour finir, quatre enfants avaient choisi de présenter un livre de bibliothèque : Kévin, « L'histoire du chat qui ne veut pas mourir », Samuel, « Une baby-sitter de choc », Edward, « le clown » et Thomas « La chaussure qui s'est envolée ». Là encore questions et réponses ont été riches.
 
 Conclusion
Les enfants étaient contents, j'étais fière d'eux aussi, ils avait tous réussi à s'exprimer !
Les parents sont repartis, certains sans rien dire, d'autres en disant : « C'était très bien, très intéressant, félicitations ! »
Et demain ?...
Allons-nous recommencer ?
Avant, j'avais peur que certains enfants n'osent pas, mais ils ont tous osé. Maintenant, si nous recommençons, il faudrait que les présentations évoluent, que les enfants présentent des recherches, des expériences....
tout ce que je ne sais pas encore faire...
A suivre...
Martine Cancela Castier
Classe de CEI Helfaut (62)
E mail :
(1) dans le dossier du Nouvel Éducateur n°111, septembre 1999, Les parents dans l’école.
Notons qu’à l’école Brunschvicg l’heure des parents se fait de façon hebdomadaire.



Il faut resserrer les liens entre l’école et la famille, réconcilier les parents et l’école, les accueillir véritablement, leur rendre l’école compréhensible.
« La réussite scolaire pour tous les élèves », 23 mars 1989.



Des entretiens individuels avec les parents d’élèves.
Il s’agit de recevoir chaque parent (seul ou sans leur enfant, selon leur souhait), deux fois dans l’année scolaire, pendant une demi-heure. Ces entretiens sont systématiques, regroupés sur une ou deux demi-journées. Ils sont pratiqués depuis 7 ans par notre équipe de cycle 2 (3 instits de grande section et CP/CE1).
L’objectif premier est la reconnaissance mutuelle et individualisée entre parent et enseignant. Il s’agit aussi de modifier la relation de pouvoir qui existe entre les deux partenaires et d’instaurer une relation égalitaire entre personne responsables de l’éducation et de l’instruction de l’enfant, qui devront se faire mutuellement confiance.
L’entretien débute d’une manière ouverte, puisque je l’introduis rituellement par la formule « je vous écoute ». D’abord déconcertés - ils pensaient être venus pour écouter - les parents s’emparent vite de cet espace de parole et le font de manière très diverse. Certains souhaitent faire connaître leur situation familiale ou professionnelle, ou parlent dans un premier temps de leur propre itinéraire scolaire ; d’autres parlent de leur enfant, de sa petite enfance, ou de sa scolarité antérieure, de la relation éducative à la maison, de l’image qu’il y renvoie de l’école, de sa place dans la fratrie, de sa santé ou de ses activités extra-scolaires. D’autres encore questionnent sur l’école, sur tel ou tel aspect de la vie de la classe, des programmes, des apprentissages ou des projets en cours. D’autres enfin expriment leur étonnement voire leur désaccord face à tel ou tel choix pédagogique et demandent des éclaircissements.
Je peux ainsi mener l’entretien selon la direction qu’ils ont choisie en fonction de leurs besoins et de leurs préoccupations. J’adapte mon niveau de langage à chaque interlocuteur, en fonction de son univers social, culturel et linguistique - ce qui est impossible lors des réunions collectives.
Dans une deuxième partie, je fais le point avec les parents sur l’apprentissage de leur enfant et je leur donne des conseils précis d’aide à la maison, en fonction de l’étape atteinte. Si besoin, je présente les outils qu’utilise l’enfant. Parfois je suggère la nécessité d’une aide extérieure, et en fin de cycle j’aborde la question de la suite de la scolarité. En ce qui concerne la lecture, ces entretiens donnent des points de repère aux parents, qui atténuent l’opacité de nos méthodes de travail : sans manuel de travail, comment imaginer ce qui se fait en classe, comment mesurer les progrès ou les difficultés de l’enfant, comment l’aider ? Le contrat de confiance et de patience demandé aux parents ne peut à mon avis fonctionner au cours du CP/CE1 sans cette information-sécurisation individualisée, tant est grande la pression sociale autour de cet apprentissage.
Catherine Hurtig—Delattre (69)

 

Théâtre : changer nos représentations

Septembre 2000

 

Coincé entre d’une part l’apprentissage par cœur et la mise en scène de dialogues d’auteurs adultes et d’autre part l’image du « théâtre scolaire » que nous caricaturent à l’excès certains films américains : du grand spectacle haut en couleur et en musique où les pauvres bambins maquillés et déguisés font figures de pots de fleurs à photographier… le théâtre serait-il le parent pauvre des techniques d’expression dans l’école d’aujourd’hui ?

S’interroger sur la place du théâtre dans l’école nous amène à questionner nos propres représentations du théâtre ainsi que la dimension éducative qu’il peut apporter dans une dynamique de classe basée sur l’expression libre, la communication et la coopération.
 
« On n’a pas tiré du théâtre des enfants le centième de ce qu’il peut donner socialement et pédagogiquement [...] Il faut faire une plus grande confiance à la jeunesse, lui donner des exemples, certes, l’aider techniquement, mais la laisser libre en fin de compte de porter sur la scène ses pensées, ses croyances, ses conceptions et de les exprimer sous la forme qui lui est familière.
Exactement comme pour nos journaux scolaires et nos textes libres.
On arrive ainsi à des réalisations tout simplement étonnantes et qui sont d’un intérêt majeur pour tous les élèves [...]. »
C. Freinet. Brochure d’Education Nouvelle Populaire. N° 19. Janvier 1946.
 
Dans ce dossier, nous avons réuni des pratiques qui présentent l’éventail des problématiques liées au théâtre à l’école :
- son rôle et sa place dans l’expression ;
- la question du rôle du public : de la fonction structurante du groupe-classe vers les garde-fous quant aux représentations face aux parents;
- la place et le rôle des intervenants extérieurs ; du lien possible et souhaitable entre expression théâtrale et les apprentissages.
·                 
Théâtre ? Théâtre !
Vous avez dit « Théâtre »…
Quelle définition peut-on donner du théâtre, et quels apports l’expression théâtrale peut-elle offrir à la classe ?
Ce n’est pas par hasard si, lorsque Élise et Célestin Freinet conçurent leur école de Vence, ils créèrent en tout premier lieu un théâtre de plein air : un espace spécifique dévolu à l’expression enfantine par le théâtre, le mime, la danse.
Aussi la pédagogie Freinet a-t-elle toujours favorisé ce mode d’expression global : le théâtre comme expression des sentiments, des émotions, d’une réalité intérieure et d’une culture en voie de construction ; expression tâtonnée de soi, du monde qui nous entoure, de nos rapports familiaux et sociaux.
Un état des lieux
Le plus souvent, le théâtre rentre dans l’école par la petite porte :
- c’est la pièce de théâtre à monter pour la fête de fin d’année. Certes, le projet est motivant, il va mobiliser l’intérêt des enfants, il met à contribution les parents (les décors, les costumes…) mais bien souvent l’objectif de « rentabilité » (réussir une « belle représentation ») ou l’affligeante influence du théâtre de boulevard font tomber le tout dans les plus désolants travers d’une pratique élitiste : à l’enfant bien parlant, beau diseur, le plaisir et la gloire, quant aux autres, au mieux leurs mimiques feront rire tout le monde, au pire, ils resteront cachés derrière le groupe… ;
- autre pratique, peut-être moins stéréotypée mais tout aussi sclérosante : l’enseignant va chercher à multiplier les situations de découverte plus originales les unes que les autres et ceci soutenu par moulte objectifs pédagogiques ;
- enfin le dernier cas de figure, peut-être le plus alarmant, est celui où, à grands renforts de moyens financiers, l’enseignant délègue le travail au « spécialiste », intervenant théâtre.
 
 
Un minimum de moyens,
de grands bénéfices pour la classe et pour l’enfant
Certaines formes d’expression (écrites, orales, picturales,…) relayées par des supports techniques pointus (son, internet, vidéo,…) nécessitent bien souvent des savoir-faire longs et difficiles; à contrario, le théâtre, l’expression par le geste et la parole ont avant tout besoin d’une mise en situation de communication pour aboutir à une production valorisante.
Les puristes nous diront qu’il faut d’abord travailler la gestuelle, la diction,… or, notre souci éducatif n’est pas de transformer nos élèves en petits acteurs prodiges, mais bien de forger des caractères uniques, entiers, sachant vivre, coopérer et travailler dans un groupe. Le théâtre à l’école est avant tout un outil au service d’un développement social et relationnel de la personne.
 
Le rôle primordial du groupe-classe
Une telle ambition éducative et formatrice de la personne ne pourrait avoir lieu d’être sans compter sur le groupe classe. S’exprimer, oui, mais dans un milieu protégé où la communauté porte un regard positif et constructeur sur la représentation.
En fait, même si l’imitation ou la métamorphose sont le propre du théâtre, la confrontation au public est toujours confrontation au regard de l’autre. L’estime de soi est évidemment un des objectifs premiers du théâtre à l’école. Dans son rôle d’équilibration psychique de la personne, la confiance en soi et dans le groupe vont faciliter l’accès aux savoirs, à tous les savoirs. Le soin que l’éducateur a à apporter à la qualité de l’écoute dans le groupe, au respect de l’autre, au dialogue est d’autant plus important.
 
La compétence du maître ?
Rien ne sert d’être un spécialiste pour dire combien on a apprécié une gestuelle, une mimique, une présence, une parole. La confiance en soi naît du retour positif du groupe et la valorisation répétée incite l’enfant à améliorer sa technique.
Comment plus loin ?
- Donner du temps et un espace à l’expression théâtrale
- enrichir le milieu en introduisant du matériel (malle à costume, accessoires...) et en proposant de nouvelles techniques à explorer (mime, marionnettes...)
- découvrir des spectacles et se confronter aux différents modes d’expression théâtrale à travers l’espace et le temps (enrichissement culturel).
 
Le théâtre :
l’équilibration du groupe
Le groupe-classe, à l’exemple de tout groupe social, a besoin de temps de respiration : moment de désacralisation de (ou des) autorité(s), moment de rire… on préférera ce temps placé sous le signe de la re-construction symbolique plutôt qu’à celui du carnaval-défouloir ou encore de l’Halloween commercial. Lorsqu’on introduit un moment théâtre dans la classe, passé les premiers instants de l’incompréhension, les enfants ont vite fait de s’accaparer cet espace d’expression.
Dossier coordonné par Patrick Pierron
 
avec la participation de Martine Boncourt, Jean-Marie Boutinot, Marisa Celestino, François Le Menahèze, Catherine Ouvrard, Monique Ribis, Marie Van Der Linden.
 
 
Le théâtre est le propre de l’homme
A travers le temps et l’espace, les traces du simulacre dramatique sont présentes dans toutes les civilisations humaines. Du jeu symbolique, représentation ritualisée des relations humaines ou de l’expression du lien au sacré, l’homme, à travers l’élaboration d’un univers scénique, ne copie pas la réalité mais en donne un équivalent plus puissant, porteur de son expression et de ses représentation les plus intimes.
Le théâtre est l’affirmation de l’humanité, par opposition au rituel religieux ou magique.
Comment, l’éducateur peut-il prendre en compte cette dimension dans le cadre scolaire ?
Le théâtre, des formes multiples liées aux Cultures humaines :
Chanson de geste
Théâtre Nô
L’Epopée
Le spectacle Kathàkali
Théâtre de Java
Théâtre d’ombre
Le théâtre de marionnettes
Le clown
Le Kabuki
Le mime
La tragédie
La comédie
La satire
Le théâtre invisible
L’agit-prop
Le théâtre de rue
Commedia dell’arte
Les mystères
La farce
Les happenings
Les tropes
L’opéra
L’opérette
à explorer et à faire découvrir aux enfants...
 
 
Nos textes libres, nous les mettons en scène
Quel théâtre à l’école ? Pour Patrick Pierron*, il s’agit d’abord d’épurer l’expression d’un maximum de contraintes afin d’aller à l’essentiel : l’expression de soi, par le corps, la voix, le chant, confortée, valorisée par le regard d’un groupe-classe accueillant.
 
Patrick Pierron est membre de l’Icem 62, La pratique de classe présentée s’est déroulée dans une classe de Mat-Grand - CP - CE1 à l’école publique de Dohem (Pas-de-Calais). 
 
Sous dictée à l’adulte, puis seuls, les enfants de la classe ont pris l’habitude d’écrire des textes personnels. Ces écrits, illustrés et recopiés avec application dans le cahier de textes personnels, sont le plus souvent destinés aux correspondants, au journal de la classe ou à l’album de vie de la classe. Chaque semaine les enfants les présentent à la classe.
Je ne peux plus dire précisément comment cette nouvelle habitude s’est mise en place dans la classe : ai-je lancé l’idée ?... Un enfant a-t-il lu son texte avec une gestuelle particulière ? Toujours est-il que, dès le début d’année, les enfants se sont mis à rejouer, à « théâtraliser » leurs textes pendant la récréation. A la fin de la journée, durant le temps de présentation des travaux personnels, ils peuvent « représenter » leur texte à la classe.
 
Voici quelques exemples qui ont marqué la vie de la classe :
J’aime bien aller
avec maman
en voiture
chez pépé et même.
Hier, j’y suis allée.
Mélanie (5ans)
 
Le texte lu à haute voix par son auteur, c’est ensuite le moment de mise en scène : On se rejoue et on se réinvente l’histoire. Le jeu scénique nous révèle tout ce que le texte ne nous a pas confié...La ceinture à accrocher,... le bruit du moteur,... surveiller la route,... passer ses vitesses, le tressautement de la route, les virages trop serrés... se blottir dans les bras de mémé...
 
Dans ce moment de plaisir, Frédéric et Annabelle sont devenus nos spécialistes du rire. Christophe, notre doux rêveur, est toujours aussi silencieux face au groupe, mais quelle présence sur scène !
C’est notre « petit théâtre à nous », un théâtre sans représentation avec un grand « R ».
 
Puis le théâtre s’est plus institutionnalisé : avec mon aide, les enfants se sont organisés avec plus d’efficacité, en prévoyant leur matériel, etc. Le moment s’est ritualisé. C’est à cette époque qu’Arnaud s’est mis à explorer le mode d’écriture dialoguée : il est devenu notre scénariste de référence !
 
Je vends des jouets.
Mon père est marchand, je l’aide.
Je crie :
- Venez acheter mes jouets !
Venez acheter mes jouets !
Venez acheter mes jouets !
Les enfants disent :
- Papa ! je veux une voiture !
- Papa ! Tu peux m’acheter une poupée ?
Arnaud (7 ans)
 
 
 
 
Ce texte de Cindy a lancé la classe vers de nouvelles découvertes :
 
J’aimerais bien aller
 à la piscine.
J’aime bien l’eau
et aussi nager.
J’aime sauter et nager
avec des bouchons.
Cindy (6 ans
)
Pour cette occasion, c’est la classe entière qui s’est mise à mimer : la nage, le plongeon, le « sous l’eau », le corps qui flotte... La musique du « grand bleu » nous a bien aidés à mieux nous imprégner des sensations de légèreté, mieux ralentir et poser nos gestes.
Le texte libre peut être mis en scène, en chant, en musique. Dans cette démarche, c’est toute l’expression de l’enfant qui s’en trouve transcendée. L’écrit prend vie. Assurément, l’expression écrite s’enrichit de cette mise en mouvement.
Patrick Pierron
p.pierron[arobase]wanadoo.fr
 
Théâtre, gerbe de pratiques
 
Vous allez faire un arbre !
J'avais quatorze ans. Le professeur nous dit un jour :
« Vous allez faire un arbre. »
J'en avais très envie ; je me sentais toute petite, une petite graine, je me concentrais pour faire vraiment naître les branches, les yeux fermés... quand tout d'un coup cette bonne femme vient derrière moi, me touche brusquement et dit :
« Ce n'est pas comme ça un arbre ! Il faut que tu ouvres plus les doigts et que tu tournes ton corps vers la droite... »
Ah !... je ne voulais plus jamais entendre parler de théâtre ! Heureusement, j'ai eu par la suite un autre professeur qui me disait :
« C'est celui-là ton arbre, il n'est pareil à aucun autre, il est très joli parce que c'est le tien et chaque arbre est très joli parce qu'il est réellement l'arbre de quelqu'un, et c'est ça le théâtre. On va faire une forêt qui sera très jolie à voir parce que chacun de nous va montrer son propre arbre. »
Et je pense que c'est cela, le groupe et l'individu : chacun est, chacun a quelque chose à exprimer, chacun a sa place et tout ça dans un groupe va faire une image très belle. [...]
Marisa Celestino. Extrait de la revue « Création », Avril 1994.
 
Stop aux grandes messes théâtrales solennelles !
 
Lors de la kermesse d’école, Marcelle Fontaine et ses élèves de CM1* invitent les parents à découvrir la pièce de théâtre qu’ils ont inventée, dans la petite salle de classe aménagée pour l’occasion qui n’accueille pas plus de 25 spectateurs, et ceci à raison de 3 séances de 20 mn durant l’après-midi.
Cette technique a l’avantage de faire plus jouer ses élèves, mais aussi cela confère un caractère beaucoup plus intime à la communication. Autres avantages : moins de trac, pas de problème de voix, bref, des enfants plus disponibles et détendus dans leur représentation, et un public plus attentif !
P. P.
École P. Brossolette de Esquerdes (62)
 
 
Du texte au jeu.
Du jeu au texte
La guerre de cent ans sans Shakespeare.
Au cours d'un stage des instits tirèrent comme sujet de création une phrase extraite d’une BT: "En Auvergne, les paysans excédés tendent des embuscades aux Anglais." Il sembla d'abord impossible de tenir 10 minutes avec un sujet aussi mince. Puis sur décision syndicale sans doute, on représenta :
- des paysans et des paysannes ; ces dernières jouèrent le ras le bol de la soldatesque anglaise - et de leurs hommes s’entraînant à taper..., le carton. Passa le seigneur, beau parleur (on eut dit le conseiller général).
- des anglais ; dont la maigre troupe fut comiquement rossée avec prime de horions pour l'adjudant ; passèrent des images de rugby.
Dans l'enthousiasme deux paysans se prirent à parler patois (applaudissements).
Le re-travail permit de forcer les caractères (râleur, timorés,...) les aspects physiques, le bègue, la pin-up... de préciser le scénario et de resserrer les dialogues.
On convint que l'imagination historique se nourrit du vécu : modèles physiques et moraux, tours de langue.
Jean-Marie Boutinot
 
Des pistes... des idées en vrac...
- la malle à déguisement (habits et accessoires) ;
- un espace scénique délimité, éclairé (projo sur pied), décoré (grand fil tendu pour accrochage, papier blanc, gros pinceaux) ;
- rejouer un événement raconté à l’entretien ;
- rejouer une situation vécue (à l’école, à l’extérieur,...) ;
- mettre en scène des phrases poétiques ou un écrit marquant (événement historique ou d’actualité ;
- se mettre à la place de... (animal, objet,...)
- lire un poème, un texte, en se roulant par terre, par deux, en mimant une action ;
- un outil : de grands tissus... pour se rouler, l’envelopper, bouger dessous,...
- le défilé de mode : avec des tissus et en musique ;
- des masques... ça aide à mieux s’exprimer par le corps ;
- des marionnettes... à doigt ou géantes ;
 
Marcelle Fontaine
 
Improviser, cheminer vers une expression personnelle :
le rôle du groupe.
La plupart du temps, les premiers essais d’improvisation sont un peu décevants. On se trouve en présence de situations très stéréotypées. Les enfants reproduisent les scènes de la vie de tous les jours ou s’inspirent de ce qu’ils voient à la télévision. Ils livrent des sentiments assez superficiels. Ils doivent sentir qu’il est risqué de révéler leur monde intérieur. Le stéréotype les protège.
Toutefois, il s’agit d’un passage obligé qu’il serait dommage de court-circuiter.
Ce n’est que dans un milieu sécurisant, où l’on ne juge pas, où l’on ne critique que pour construire, que les enfants tentent de dire ce qu’ils ressentent profondément. Ensuite c’est au groupe à soutenir cette expression, à l’aider, à lui apporter les moyens d’être la plus fidèle possible, en posant des questions, en montrant des exemples, en échangent avec celui qui parle pour l’amener à expliciter ses dires.
A l’écrit, on appelle cela le maillage du texte que l’on tend à rendre, ensemble, dense, serré comme la texture d’un tissu. A l’oral le travail est semblable.
C’est à ces seules conditions que l’expression prend de la valeur, ne reste pas en surface, s’étoffe et, ce faisant, libère l’enfant.
Monique Ribis Extrait de la revue « Création », Avril 1994.
 
Légende photo : c’est au groupe à soutenir cette expression, à l’aider, en échangeant avec celui qui parle pour l’amener à expliciter ses dires. M.R.
 
 
 
Côté cour, côté jardin... Multiplier les entrées
Le théâtre comme outil de libération globale de l’expression, n’exclut pas la recherche de techniques théâtrales, la découverte de l’écriture théatrale. Sur cette question, l’école Ange Guépin de Nantes* a dépassé la contradiction entre liberté d’expression et volonté de proposer un spectacle de qualité.
 
L'École Ouverte Ange Guépin est une école primaire à 5 classes. L'école n'est pas soumise à la carte scolaire, elle est classée "école à favoriser" compte-tenu du nombre croissant d'enfants en difficulté qu'elle accueille. Depuis trois ans, le théâtre y a pris une place plus importante à la suite d'un stage école animé par le Centre de Ressources Ville avec la comédienne et auteur Catherine Zambon.
 
 Nous avons implicitement adopté deux démarches :
- les sketches, qui sont l'expression spontanée des enfants, parfois peu mis en scène et en mots et présentés à la classe une fois par semaine après un travail quasi quotidien en temps de projet individuel ou en temps de récréation.
Les sketches ne sont en général pas écrits, mais la plupart du temps, réinventés à chaque répétition et enrichis par l'improvisation. L'expression du corps a une très grande place : l'enfant utilise son corps comme un outil au même titre que le verbe, l'onomatopée ou le cri. On ne lui impose pas la prédominance du texte, le carcan des mots choisis, appris, qui paralysent le corps et bien souvent la voix. On voit ainsi des enfants s’étonner de ce qu'ils s'autorisent à utiliser d'eux-mêmes et on sait alors qu'ils ont ajouté une pierre à leur construction personnelle.
 
- les saynètes, les jeux théâtraux à partir de textes écrits par les enfants, ici, les textes oralisés sont retravaillés avec des adultes professionnels de théâtre ou les enseignants. Ils peuvent être écrits intégralement, par les enfants ou des auteurs, ou servir d'argument à un travail d'improvisation. Dans la logique de notre démarche, ce travail s'inscrit dans un second temps, après que enfants et adultes aient cassé les représentations qu'ils avaient du théâtre et se soient réappropriés ce mode d'expression par la création personnelle et la mise en scène de leur vécu. Alors seulement l'identité de chacun est suffisamment reconnue pour qu'il puisse composer avec elle un autre que lui-même. Autant dire que si cet objectif devient essentielle pour certains enfants au cours du travail, pour beaucoup d’autres il reste très lointain.
Les sketches peuvent être présentés au "Super c'est Samedi", moment de spectacle hebdomadaire qui réunit les 110 enfants de l'école, et à la fête de fin d’année.
Une estrade confère au théâtre son espace propre et institue sa place dans l’école.
Je suis persuadée que pour les enfants les plus en difficulté avec la parole, la relation au groupe, la coopération en général, l'expression théâtrale et la conscience de soi libératrice qu'elle procure, aboutissent à ce réinvestissement dans d'autres domaines de la vie de la classe, particulièrement le conseil, les moments de parole institués mais aussi l'EPS, les arts plastiques... La construction de la personnalité est un tout.
Catherine Ouvrard
catouvrard[arobase]calva.net
Ecole Ouverte A-Guépin de Nantes (44)
 
Note : un prochain article portera sur l’écriture théâtrale à l’école A. Guépin, un projet animé par la comédienne Catherine Zambon
 
 
Théâtre à l’école ? Parle-t-on tous de la même chose ?
Le théâtre libre apparaît parfois pauvre à certains observateurs, les thèmes abordés sont cycliques... et puis, tout à coup, une claque : un moment d’expression authentique, riche, admirable.
Nous, enseignants professionnels, n’avons pas l’habitude de ces évolutions en dents de scie, où l’on ne sait pas où on va.
La progression bien rythmée pour laquelle nous avons été « conditionnés » n’est plus là. D’où déroute... et bien souvent abandon.
Mais nous nous savons bien, quand nous avons été quelque peu « déconditionnés » et que nous sommes redevenus « sujets-enseignants » que cette expression est essentielle... et la communication qui s’ensuit ne l’est pas moins.
On peut se poser la question de la place de cette expression à l’école. Elle n’est pas courante en effet, elle dépend encore trop souvent de techniques de recherches de l’enseignant... plutôt qu’une véritable pratique coopérative dans laquelle chacun sera respecté dans son expression, chacun contribuera à la recherche collective du groupe, vers une amélioration de cette expression.
L’apport des comédiens à l’école n’a sa place que dans un cheminement déjà emprunté. Ils apporteront alors leur expérience, leurs outils et leurs pratiques au sein d’un processus de création déjà présent.
 
François Le Menahèze.
 lemena[arobase]wanadoo.fr
 École Ouverte A-Guépin de nantes (44)
 
Vers la représentation Théâtrale : conseils techniques
Jean-Marie Boutinot, fort de sa longue expérience dans le domaine de l’expression théâtrale avec les enfants et les adolescents, nous apporte quelques conseils techniques judicieux : ne pas se lâcher les mains avant d’avoir poser les pieds...
 
Jean-Marie Boutinot, membre du groupe Freinet 16,
 
La mise en route d'un projet de représentation théâtrale se heurte à des difficultés connues qu'il faut vaincre et des difficultés insoupçonnées qu'il faut mettre à jour sous peine de voir la représentation se diluer dans l'indifférence magnétoscopeuse des parents.
 
Chez les enfants c'est d'abord la faiblesse des moyens physiques : voix et toutes les difficultés à occuper l'espace. C'est aussi la force de certaine représentations mentales : l'absence de modèles théâtraux mais l’omniprésence de modèles cinématographiques. Les enfants vont vouloir reproduire sans humour le jeu d'acteurs à la mode. De Funès, les Deschiens, Jamel,...) ceci sans la conscience des moyens complexes utilisés pour obtenir un rire adulte.
Ils vont considérer la scène comme un espace fermé, la transmission de leur jeu n'étant pas leur responsabilité (cf, la télé). Habitués au plan américain, à mi-corps, ils vont faire une confiance excessive à des mimes réduits et ne mobiliseront pas TOUT leur corps (ou, sur des incitations maladroites, par des agitations brouillonnes). Le résultat : placé à 20-30 m le spectateur ne verra rien.
 
Enfin, ils demanderont un néo-réalisme qui trahit l'intention : un gamin coiffé d'un melon trop grand n'aura rien d'un inspecteur sévère, une collégienne dans son quotidien uniforme "grunge" n'attirera pas les regards sur son personnage inquiet.
Les adultes laissent souvent les enfants en proie à ces seuls modèles au nom de la liberté. Ils ont vraiment eu à choisir ?
"Ils" préparent un théâtre, me dit-on en désignant une bibliothèque d'où le son monte, monte... « Je les laisse libres...», comme si faire du théâtre engageait moins la personne que la dictée. Mais peut être que ces enfants étaient libres de ne point respecter les règles de l'orthographe ?
A l'inverse du "tout liberté" d'autres s'infligent un texte d'auteur dont les limites ne sont pas toujours perçues : qualité littéraire douteuse, inadaptation aux jeunes, nombre réduit de personnages sur le modèle la mari, la femme et l'âne. On le garde tel quel car "on ne touche pas à l'auteur"...
 
Le répertoire nouveau est arrivé
Inutile de chercher : il n'y pas de pièce pour 20,25 acteurs. Il faut donc créer son répertoire - Prendre un sujet porteur : nouvelle extrait de roman, page d'histoire, fable, conte, texte libre riche d'ouvertures, pièce de théâtre même et le mettre à la disposition des enfants, créer, improviser à partir de la structure forte du texte ; des personnages de rêve.
Mais la parole de l'enfant ? Elle va jaillir de la rencontre, plus forte, plus neuve, plus durable, mieux entendue.
 
Tous en scène
Les propositions pour un répertoire nouveau aident à envisager autrement la question de la distribution. Fil rouge (si on le croit nécessaire), tenu par un choeur et non par un conteur - qui boufferait à lui tout seul 10% du temps de représentation - , éclatement des rôles, partage des rôles importants, création de rôles nouveaux, création de métiers du théâtre.
Ressource que l'intellectualisme néglige... les talents des enfants : tour de magie, flip flap , musique, etc. Les bruiteurs, créateurs de l'espace sonore seront sur scène, l'éclairagiste et le passeur de diapos mis en lumière. Les machinistes dotés d'un costume et applaudis sur un gag. Les marionnettistes qui viendront jouer aussi DEVANT le castelet (Id les montreurs d'ombres)... Tous sur scène, tous sur le programme.
 
Attribution des rôles
Eclatement des rôles : Au lieu d'une seule femme, la belle Aude, imaginer des femmes de chevaliers, de paysans qui renforcent son dire ou la contredisent.
Création des rôles :
- donner la parole à ceux qui ne l'ont pas - ou rarement - : les femmes de sarrazins, les paysans ,..
- à partir de choses vues en cours de répète : Elsa suit "Dieu" pour enregistrer son impro. C'est trop! On en fait un personnage qui propose à Dieu de danser...
Dédoublement :
Charlemagne ostensiblement passe son rôle à un autre Charlemagne (qui en fait autant), ça évite les extinctions de voix et le vedettariat.
 
J-Marie Boutinot (16)
 
 
 
Faites-nous rire, M. Leuf !
Peut-on demander à des Educateurs de contribuer à dissiper le malentendu qui veut que l'on va au théâtre pour rire, en tout cas "pas pour se prendre la tête" ? Impossible d'ailleurs de ne pas se prendre la tête pour faire vraiment rire, du personnage et non des maladresses du gamin abandonné sur scène.
Se demander aussi : DE QUI rit-on ? Ces enfants avaient fait une très drôle imitation de "saoulot". Très drôle. Jusqu'à ce que Charline glisse : on dirait mon père... Depuis au dodo les saoulos et les clodos.
De même, pour les inconditionnels du théâtre de boulevard, se demander QUI dans leur classe sera bientôt, en vrai, la petite bonne niaise mais niaise...
Contradiction secondaire : on fait étudier Racine et Molière, mais on fait jouer "Lagrive et Petofesse en vadrouille", fou rire et tout public. Soyons cohérents !
J.-M. B.
 
 
 
 
La classe en Re-présentation : des garde-fous
« Voici 15 ans que nous sommes à l’école de l’Hautil, Jean-Luc et moi, et cet article pour le Nouvel Éducateur est l’occasion de faire un bilan de l’expérience que nous avons eue les enfants et nous, en théâtre, depuis tout ce temps ». Marie Van Der Linden*.
 
Marie Van Der Linden est membre du groupe Ecole moderne des Yvelines (GEMY). Depuis plus de 15 ans elle travaille à l’école Freinet de Triel sur Seine (78).
 
Premiers spectacles
Lorsque nous sommes arrivés, l’école fonctionnait déjà en pédagogie Freinet depuis une dizaine d’années avec Michel et Danièle Cadiou. La mise en place d’un spectacle n’a suscité aucune difficulté, les enfants étant habitués à s’organiser eux-mêmes. Le premier spectacle eut lieu à Noël, composé de saynètes et de chants, dans une des deux classes avec juste un drap tendu dans un coin pour servir de coulisses et les parents installés dans le restant de la classe. Il est clair que l’espace était nettement insuffisant et pour les acteurs (rices) et pour les parents.
 
Du théâtre dans deux classes
Les années suivantes, nous sommes passés à une dimension un peu plus intéressante : les deux classes n’étant séparées que par une cloison de bois, il a été décidé de demander à la mairie de monter une estrade dans une des deux classes et d’installer le public dans l’autre, le couloir devenant les coulisses où les enfants se bousculaient entre deux saynètes pour le changement de costumes et d’accessoires. C’était un peu plus confortable mais il faut bien dire que les coulisses, après le spectacle, ressemblaient à un champ de bataille et que parfois les enfants ne retrouvaient pas un accessoire, même en ayant pris soin auparavant de s’organiser. Et la salle où se trouvaient les parents devint vite trop petite et trop étouffante, les parents en sortaient ravis mais… en nage.
 
Travail, enthousiasme et stress...
Plusieurs années durant le spectacle avait lieu à Noël. Dès le retour des vacances de la Toussaint, on s’y mettait. Les enfants préparaient leurs saynètes chez eux, chez les nourrices (n’ayant pas de cantine, ils mangent chez des nourrices), à la récré ou pendant l’atelier théâtre du samedi matin, animé par moi-même au début puis par des parents. Les saynètes étaient présentées au groupe école un jour par semaine, commentées, critiquées par tous et toutes et les acteurs et actrices, forts des conseils des autres, n’avaient plus qu’à retravailler leur saynète pour la représenter à nouveau, améliorée, devant le groupe. Le contenu de ces saynètes était très varié, les enfants ne manquant pas de prendre souvent les adultes pour cibles avec un humour et une justesse d’observation particulièrement fins. Saynètes, danses, chants, venue du Père Noël se succédaient durant une bonne heure et demie au grand plaisir de tous, enfants et parents. L’envers du décor maintenant : pendant le mois de décembre, l’école ressemblait à une ruche, plus de place pour d’autres projets, les apprentissages scolaires considérablement ralentis, une tension qui montait et quelques séances où il faut l’avouer, Jean-Luc et moi, stressés et crevés, nous les incendions copieusement parce que ce spectacle était et est toujours, une vitrine et que nous étions jugés aussi sur la réussite ou non de cette représentation. Inutile de dire que décors, accessoires et costumes étaient réalisés à l’école, le déménagement et la réinstallation des deux classes en plus et nous en sortions, les enfants et nous, épuisés, avec heureusement les vacances pour nous en remettre. 
 
Dans un vrai théâtre !
La construction d’une mezzanine dans la classe des plus petits a tout remis en cause et nous avons alors pris la décision de présenter notre spectacle à la salle de théâtre municipal. Changement important, nous allions jouer dans une vraie salle de théâtre, les coulisses seraient de vraies coulisses, les parents seraient bien installés, la scène plus grande, il y aurait des éclairages et à l’époque, nous avions un père d’élèves travaillant dans la sonorisation qui amenait une sono. Un vrai travail de pros ! Nous y avons gagné en qualité et en confort mais le stress était toujours là, sans doute même plus du fait du lieu. Les anciens partis au collège ont participé au spectacle, ne manquant pas de critiquer vivement ce qu’ils y vivaient. Lors d’un échange correspondance avec Alain et Françoise Bar, deux collègues Freinet, nous avons pu constater que, chez eux, les parents montaient sur scène et, au Noël suivant, les parents fortement sollicités par leurs enfants, ont eux aussi monté des saynètes, très drôles, sur le petit déjeuner avant l’école, les leçons, la sortie de l’école mais aussi des contes,… Et elles (eh oui, rien que des mamans) y ont pris un grand plaisir et ont montré de réels talents d’actrices.
Mais même si ce spectacle était un vrai plaisir et une réussite, les enfants et nous, nous nous essoufflions un peu. Besoin de renouveau, lassitude, envie de chasser le stress …
 
Une collaboration extérieure
Un jour, je rencontrai au théâtre un des intervenants théâtre de la commune et nous sympathisâmes. Lors d’une semaine contre le racisme, nous avons vu un de ses spectacles et emballés, nous avons demandé à la mairie de pouvoir travailler avec lui. Accordé ! Nouveau virage.
Plus de spectacle à Noël mais un travail théâtral construit tout au long de l’année scolaire avec l’aide d’un professionnel et au mois de juin, la représentation. Hugues intervenait sur les deux classes dont bénévolement sur une, enthousiasmé par notre façon de fonctionner. Les spectacles ont acquis une qualité que nous n’aurions pu atteindre mais je pense néanmoins que certains parents, même satisfaits de cette nouvelle mouture, gardaient une nostalgie pour les saynètes d’antan. Nous avons pu multiplier les modes d’expression, nous avons créé des marionnettes, des masques, le tout tranquillement sur une année scolaire sans stress et au bout du compte des spectacles de qualité. Un spectacle a notamment recueilli un franc succès : le rinquinquin, théâtre à la Deschiens qui nous a tous fait pleurer de rire !
 
Quand l’expression est libre... un peu trop libre
Jusqu’à il y a 2 ans où ce fut le clash. Les enfants de cycle 3 avaient préparé un spectacle basé sur l’histoire d’une ville où les rapports enfants/parents étaient inversés. Sujet sensible, faut bien le dire. Ils avaient eux-mêmes inventé l’histoire, travaillé en improvisation, en plusieurs tableaux, en expression libre. Un peu trop libre sans doute, vu ce groupe difficile. Nous avions bien vu que le résultat final ne serait pas aussi bon que les années précédentes mais nous ne nous attendions pas à ce qui se produisit : un spectacle pas terrible, ils en faisaient trois tonnes, quelques loulous se sont lâchés et des « gros mots » ont heurté les oreilles des adultes. Un père d’élève est parti en cours de représentation en agressant verbalement Hugues. Un bide, un flop, un spectacle raté. Rien de dramatique ? Oh que si ! Quand je parlais de vitrine de l’école, en début de cet article, je mesurais bien mes mots. Le spectacle était raté (enfin celui des cycles 3), les parents déçus, ne parlons pas des grands-parents, amis, voisins ne nous connaissant pas et pensant « Ah, c’est ça la pédagogie Freinet, eh bien je suis content de ne pas y avoir mis mes enfants ! ». Certains parents n’ont pas pris de recul, ne sont pas venus en discuter avec nous. Ils se sont réunis entre eux, l’affaire a gonflé et à la rentrée, nous avions trois familles de moins et des attaques virulentes contre Hugues et Jean-Luc.
 
Une confiance retrouvée
 Heureusement, la majorité des parents a accepté ce ratage, depuis le temps que nous revendiquons pour leurs enfants le droit à l’erreur ! Ils ont su relativiser et se rappeler les excellents spectacles précédents. Ils nous ont réitéré leur confiance.
Hugues a continué à travailler avec nous. Ce fut un vrai bonheur tout au long de l’année. Nous avons travaillé sur les insectes, en biologie, en arts plastiques. Nous avons chanté et dansé les punaises des bois, le gros bourdon, le bombyle,... créé des saynètes mettant en scène les revendications des doryphores qui en ont ras le bol des insecticides. Nous savons tout sur les petites bêtes. Les enfants et moi-même, nous nous sommes littéralement éclatés. Le spectacle était très réussi.   Les parents nous ont félicités. Le succès de ce spectacle était très important, suite à l’échec du précédent. On se doutait qu’on nous attendait au tournant.
 
L’apprentissage par l’expérience
Nous en avons longuement discuté avec les enfants en réunion de coop et il est clairement apparu que l’espace de liberté, d’expression libre qu’ils trouvent à l’école est limité à ce lieu, qu’il leur faudra être vigilants lors des spectacles à venir, qu’ils ne pourront pas se lâcher (notamment au niveau des « gros mots » qui ne sont d’ailleurs pas si gros que ça !) et que tout n’est pas montrable.
Fort heureusement, l’enthousiasme est toujours là. A aucun moment il n’a été question d’arrêter les spectacles. Mais quand l’expression libre est vraiment libre, des dérapages sont possibles.
Cette année, les cycles 3 travaillent sur un spectacle basé sur l’animation de poupées (en bois, en tissu, en boîtes de conserve….). Le plaisir qu’ils y prennent, la conduite coopérative de ce projet tout au long de l’année sont pour nous plus importants que le final. Mais l’apothéose, ce sera bien quand les trois coups symboliques retentiront. Défiant le trac, nos jeunes acteurs et actrices donneront le meilleur d’eux-mêmes, forts des expériences passées. Que le spectacle continue ! 
Marie Van Der Linden
Jean.Luc.Vanderlinden[arobase]ac-versailles.fr
 
 
 



 



Histoire d’une histoire...

... qui se passe en l'an mille, racontée, écrite, mise en scène, jouée par les enfants de la classe de C.M.I /C.M.2 de l’école de Lutzelhouse, Bas-Rhin, entre mars et juin de l'an 2000.

 

 

Martine Boncourt, militante de l’ICEM 67 travaille à l’école de Lutzelhouse, Bas-Rhin, dans une classe de C.M.I /C.M.2. de 26 élèves.

Un travail en équipe.

Dans un premier temps, consigne est donnée de tracer l'intrigue dans ses grandes lignes. Choix de « texte » suivi d'une mise au point collective. Voici l'histoire retenue :

« Deux pèlerins arrivent dans un château en bois aux alentours de l'an 1000. Ils sont invités par Bertrand, le seigneur, à participer à la soirée, où l'on danse et où s'exécutent jongleurs, conteur, poète, et acrobates. Par ailleurs, le moine Jean-Baptiste, seul lettré de l'assemblée, est convié à lire les plans du futur château en pierre que Bertrand est en train de se faire construire. Pendant la fête, on apprend que le cuisinier a disparu, de même, au petit matin, Dame Guenièvre, la châtelaine. Les pèlerins mènent l'enquête et découvrent un passage secret qui conduit au château voisin, celui de Philippe, le frère du seigneur. Il finit par avouer que ce château en pierre a suscité en lui des "sentiments peu vertueux", de la convoitise, de la jalousie, mais que pour se repentir, il envisage de se rendre à Saint-Jacques-de-Compostelle pour faire pénitence. Le fauconnier arrive avec les villageois pour se réjouir, en dansant, de cet heureux dénouement».

 

Ecriture, chorégraphie et recherche historique

Dans un second temps, et toujours en équipes, mais tournantes cette fois-ci, les enfants auront à écrire les dialogues de la pièce découpée en séquences, à trouver une chorégraphie sur les deux danses, celle des nobles (musique de Josquin des Prés, on n'est plus tout à fait au onzième siècle, mais qui saurait chicaner à trois cents ans près ?), celle des paysans (chanson "Tous les oiseaux du genre humain" qu'on situe au 19ème siècle mais qui s'origine sans doute dans la nuit des temps ; ils auront, en outre, à réduire la farce "Renart et les anguilles" en ne gardant que l'essentiel à la compréhension de l'histoire, ceci pour faciliter le travail de mémorisation du conteur (le texte final aura quand même deux pages) ; il leur faudra choisir, dans un corpus composé d'une vingtaine de poèmes de l'époque (ou à peu près) un texte qu'il s'agira de déchiffrer, puis d'apprendre par cœur. Enfin, on nommera acrobates ceux qui sauront le mieux exécuter la roulade et le poirier, et jongleur, celui qui parviendra à lancer et à rattraper ! - trois balles.

 

Au delà des champs disciplinaires

Voilà de quoi remplir deux semaines, à peu près dans toutes les matières, y compris en mathématique, puisque le plan du château, reproduit à l'échelle, a nécessité la maîtrise de la notion. J'ajoute que les enfants ont pris énormément de plaisir à fouiller dans divers documents pour trouver des mots et des expressions de l'époque : « Que me baillez-vous là, gente dame ». L'apprentissage par cœur a posé moins de problèmes que je ne le redoutais, sans doute étaient-ils plus motivés que pour les tables de multiplication ! De la même manière, tous les enfants ont accepté de bonne grâce un travail long et fastidieux sur la diction, que même Grégoire, enfant quasi bègue mais nonobstant premier rôle, a fini par améliorer de façon si sensible que personne, parmi les spectateurs, n'aurait pu deviner que...

Autre source d'étonnement (et de plaisir), Julia, une petite si timide que je ne reconnaissais pas le son de sa voix, se révéla dans un jeu étonnant de meneuse... d'enquête.

Pour les costumes, nous avons fait appel aux parents qui ont dévalisé leurs greniers et fait des recherches sur les vêtements de l'époque, ceux des nobles, ceux des paysans, ce qui a débouché sur la confection d'accessoires comme chapeau, ceinture...

 

La pièce sera jouée trois fois, une première au cours d'une matinée réunissant des "élèves-acteurs" de plusieurs écoles de la circonscription, une autre en classe transplantée devant les correspondants, une troisième (c'est la loi du genre, mais je ne trouve pas que ce soit un "mauvais genre") en fête de fin d'année devant les parents. A chaque fois, ils se sont surpassés.

 

L'an prochain, j'aimerais "investir" la Renaissance.

Martine Boncourt

 

Au départ, un échec. Dans le cadre d'une étude portant sur le Moyen-Âge et pour laquelle les enfants choisissaient d'exposer un des différents faits marquants de l'époque (Féodalité, Charlemagne, croisades... ), Grégoire et Caroline avaient pour objectif de faire une mini-conférence sur les châteaux forts. Mais ils se sont vus renvoyés à leur place par Arnaud, alors président de séance, parce qu'incapables d'exposer quoi que ce soit de cohérent sur le thème. (Précisons que la technique de l'exposé est travaillée depuis le début de l'année, qu'ils ne sont pas bombadés sur la scène sans préparation, mais qu'en dernière instance, ce qui est déterminant et va servir de test d'évaluation, c'est l'intérêt de l'auditoire, mesurable à son niveau sonore, bâillements ou bavardages.)

La semaine suivante, Grégoire et Caroline ont retenu la leçon et abordé la chose... déguisés en pèlerins arrivant devant un château imaginaire mais dont on pourra cependant visualiser le schéma commenté de la façon vivante : "Oh ! Regarde tous ces gueux assis dans la basse-cour, allons nous joindre à eux". Franc succès. L'assemblée applaudit. Au conseil, Grégoire et Caroline seront félicités et il sera proposé et décidé de continuer ensemble cette ébauche d’histoire.

 

 

Extrait de l'exposé de Grégoire et de Caroline

(il sera ensuite légèrement modifié pour servir de première scène à la pièce. )

Grégoire : Nous sommes des voyageurs du Moyen-Age appelés pèlerins, et nous allons vous parler des châteaux forts.

Hum... ! Je suis fatigué, nous avons trop marché aujourd'hui.

Caroline : Oh ! Regarde, un Château fort ! Allons-y !

Grégoire : Tu sais les châteaux servent à protéger le seigneur et les villageois, mais aussi à accueillir les voyageurs.

Caroline : Oh ! Regarde, le pont-levis est baissé.

Grégoire : Levez la herse ! Nous voici dans la basse-cour, allons nous désaltérer au puits que voilà.

Caroline : Comme les douves de ce château sont profondes ! Et le donjon ! D'ici on peut voir la salle de réception. Le seigneur est en train de festoyer avec ses gens.

Grégoire : Oh ! Un serviteur passe avec un cochon rôti, et en voici un autre avec un faisan... Et vois tous ces jongleurs qui sont venus distraire le seigneur ! c'est ça la vie de château ! (... )

 

Extraits des dialogues écrits par les enfants : la construction du nouveau château

Moine Jean-Baptiste : Voilà donc les plans de votre futur château, monseigneur, tels que l'architecte vient de me les apporter... Un château tout en pierre ! Au rez-de-chaussée, la salle des gardes, les cuisines et les écuries, au premier, la grande salle de réception, avec deux cheminées. Dans chacune des chambres il y aura aussi une cheminée.

Dame Genièvre : Epoustouflant. Peut-être y aurons-nous un peu plus chaud !

Le moine : Mais avant d'entrer, voyez-là, dans ce magnifique jardin sera construite une petite chapelle. A l'avant du château, bien sûr, la barbacane pour assurer une première protection contre l'ennemi, avant de franchir le pont-levis. Comme vous le voyez, les douves sont inchangées, mais le donjon sera plus spacieux, pour accueillir votre logis, seigneur. Les murailles seront bien plus solides, avec des meurtrières moins larges qui ne laisseront plus passer les flèches de nos adversaires. Ici, nous avons gardé le chemin de ronde et les différentes tours de guet garnies de créneaux et de mâchicoulis...

Bertrand : Fort bien, frère moine. Je vous remercie de votre précieuse contribution. Vous seul sachant lire, pouviez nous aider à comprendre ces plans. Mais passons maintenant aux réjouissances. A vous troubadours ! Commençons par le conteur.

 

Extrait du dialogue : la disparition du forgeron

Guillaume, un serviteur : Ah ! J'ai bien dormi. Mais j'ai un peu mal au dos, ma paillasse n'est pas très confortable. .Je vais préparer de quoi se sustenter... Bonjour seigneur Bertrand.

Bertrand : Guillaume, as-tu vu dame Guenièvre? Je la cherche partout, en vain. Elle n'est ni dans le donjon ni dans la basse-cour ni dans la chapelle ni sur le chemin de ronde.

Guillaume : Peut-être est-elle dans la cuisine pour donner ses ordres. J'y vais de ce pas.

Catherine : Bonjour messire.

Bertrand : Bonjour darne Catherine.Vous avez bien l'air agitée ce matin.

Catherine : J'apprends que le forgeron Léonard a disparu lui aussi.

Bertrand : Que me baillez-vous là, gente dame ?

Catherine : C'est une poulaine à tresse d'or que je viens de trouver par terre. Appartient-elle à Dame Guenièvre ?

Guillaume : Messire, votre dame n'est pas dans la cuisine ! Nul ne sait où elle se trouve.

Grégoire : Que de mystère ! J'ai tout entendu. Laissez-nous enquêter, Messire, nous

En début d'année, écrire au CP

Septembre 2000
Apprentissage de la lecture et de l'écriture en Méthode Naturelle

En début d’année, écrire au CP

Ecole Martinon à Gradignan (33)
4 classes – équipe Freinet
Classe de CP de Jean-Luc Bellue
 
Dans les quatre classes de l’école, les enfants ont un cahier de textes libres : le cahier bleu (code couleur commun à toutes les classes). Ils l'utilisent pour écrire leurs textes libres, imaginaires ou non. Les textes peuvent être présentés oralement à la classe, être imprimés pour être diffusés aux camarades de la classe, être envoyés aux correspondants, paraître dans le journal bimensuel de l'école… Ceci n'est possible que lorsque le texte a été corrigé (mention « correction vérifiée » apposée par le maître en fin de page).
 
Discussion avec Elsa pour corriger le texte qu'elle me porte à finir d'écrire
 
Elsa me dit le texte entier, que les mots soient écrits ou non, et nous vérifions la concordance des mots avec les traits qu'elle a tracés.
"Tu dois m'écrire les mots : singegrimpeparce qu'il veutnoix de."
"Je ne savais pas écrire manger, mais comme on a mange dans le texte [collectif] du hamster, je l'ai mis." Je rajoute alors le r manquant.
"J'ai écrit coco toute seule parce que je sais que c et o ça fais co. Mais je n'arrive pas à écrire la fin pour cocotier."
 

Les temps de Travail Personnel Activités possibles au CP

- écrire un texte sur le cahier bleu
- fichiers de lecture (PEMF O1, O2, O3 …)
- fichiers de Numération-Opération (PEMF O1, O2, O3 …)
- table math (cubes, puzzles, Tangrams, boutons, jeux de construction…)
- coin lecture
- dessin libre sur le bloc-sténo ou pour illustrer un texte du cahier bleu
- coin peinture
- coin pesée
- ordinateur
·                imprimerie
 
Ecrire un texte au début du CP
Les enfants ne sachant pas encore lire et écrire, ils ont besoin d'un secrétaire. Je joue ce rôle auprès d'eux pendant les temps de Travail Personnel (au moins deux fois ½ h par jour). (voir encart)
 
1 – Le premier jour, les enfants dessinent sur le cahier bleu (cahier de Travaux Pratiques, une page à réglure Seyès, une page blanche pour le dessin) en pensant à l'histoire qu'ils me demanderont d'écrire en vis-à-vis.
2 – L'enfant me raconte son histoire (ou me décrit son dessin). Nous nous mettons d'accord sur une formulation de l'histoire –1 ou 2 phrases ou 3 ou 4 lignes maximum. S'il demande un texte plus long, alors nous l'écrirons par épisodes.
3 – Avec l'enfant, au crayon à papier (pour pouvoir modifier) je trace un trait par mot du texte et place la ponctuation. Ensuite nous redisons le texte mot par mot et l'enfant dit pour chaque mot :
     "Je le connais, c'est moi qui l'écrirai."
ou "Je ne le connais pas, C'est toi qui l'écris."
Les premiers jours du CP, j'écris à peu près tous les mots, mais rapidement reviennent des mots déjà utilisés dans les textes précédents, dans les textes collectifs de la classe, dans les affichages… et dans les cahiers des copains et des voisins.
4 – Une fois tous les mots écrits, j'en fais un modèle d'écriture en dessous que l'enfant recopie. Il l'apprendra pour pouvoir s'y repérer et le réutiliser, le relire tout seul.
 
Pour les textes suivants, je demande aux enfants de tracer eux-mêmes les traits des mots de l'histoire avant de me la faire écrire, ou au moins de le tenter.
Des stratégies différentes apparaissent très vite :       
- celui qui utilise au maximum son petit capital de mots pour devenir au plus vite un écrivain autonome (La fille va à la plage. / La petite fille a vu une fleur. è La petite fleur va à la plage. / La fille a une fleur….) jusqu'à épuisement des combinaisons possibles.
- celui qui, au contraire, élargit constamment le vocabulaire employé.
 
J'interviens régulièrement pour dire : "Ce mot, je ne te l'écris pas, tu l'as déjà dans ce texte-ci, il est sur cette affiche, recherche-le."
 
La 1ère victoire : Quand je suis occupé à travailler avec d'autres, poser le cahier sur le bureau du maître en disant : "Tiens ! J'ai écris tout ce que je savais et je te laisse les traits pour les mots que je ne connais pas."
La 2ème victoire : "Tiens ! Tu n'as pas besoin de moi pour lire le texte. Je connaissais tous les mots."
La 3ème victoire : "Y a un mot que je ne connaissais pas, mais j'ai réussi à en écrire un bout tout seul, tu me marques le reste."
La 4ème victoire : "Je te laisse le cahier. Tu le corrigeras tout à l'heure. J'ai réussi à tout écrire, même les mots que je ne connaissais pas. Tu n'as pas besoin de moi pour le lire."
 
 

 

L'accès autonome des élèves à l'information est-il la chronique d'une mort annoncée de l'école?

Septembre 2000

Un texte de Françoise Ferry, chargée de mission de l'Inspection générale

de l'Education Nationale
http://www.cndp.fr/tice/DossiersIE/texte_ferry.htm
 
Voici une vérité scolaire largement répandue : la meilleure des pédagogies est une pédagogie active, celle qui fait des élèves des " apprenants ", celle dont les méthodes de travail favorisent la recherche, fût-ce par le tâtonnement, s'approfondissent par le travail collectif, se finalisent par la production et la communication. La réalité est cependant tout autre.
Malgré les intentions affichées des politiques éducatives, des enseignants et de leurs formateurs, il semble que les contraintes institutionnelles, d'horaires, d'organisation générale de la scolarité, soient opposées à cette logique d'auto-apprentissage de l'élève " acteur ". S'agit-il d'une pure difficulté méthodologique - il serait finalement plus aisé de transmettre que d'apprendre à trouver -, ou bien s'agit-il d'une véritable contradiction entre le vœu d'individualisation des parcours et l'idéal d'une connaissance égalitaire, républicaine, universelle et donc commune ?
Il est vrai qu'à ses origines l'École a cru bien faire, en constituant, contre les dogmatismes religieux et l'obscurantisme des familles, une mémoire et une culture collectives, célébrées dans les formes napoléoniennes de l'excellence puis dans le patriotisme républicain.
Elle reste aujourd'hui obnubilée par cette mission, fondamentale et fondatrice, de se constituer en référent univoque grâce auquel les citoyens vont se libérer des croyances vaines et communier dans une société unie par les mêmes savoirs. Tous les moyens sont bons pour prodiguer de la " consolidation ", de la " remise à niveau ", du " soutien ", de l'" aide ", tous les soins sont mis à distinguer le bon grain de l'ivraie, à coup de programmes, d'instructions, de documents d'accompagnement, de manuels, de fiches pédagogiques. (...)
L'éducation du comportement, elle aussi, a largement été éludée, dans la mesure où, plus encore que pour les activités cognitives, celui-ci caractérise la singularité de chaque individu, donc constitue une porte ouverte à la rupture du contrat de culture commune. Cette éducation a été abandonnée à toutes sortes de mouvements gravitant autour de l'École, les cercles laïques, les patronages, les associations sportives et culturelles, chargés de développer les capacités d'initiative, de débrouillardise, de maîtrise de soi, de leadership… Avec le déclin de ces structures tombent régulièrement dans l'escarcelle de l'École mille et une nouvelles prescriptions tout aussi antithétiques de sa tradition idéologique, et auxquelles elle a le plus grand mal à faire face, en dépit des accents de " priorité " qu'elle leur donne : prévention des toxicomanies, de l'alcoolisme, des maladies sexuelles, lutte contre la violence, exercice de la citoyenneté, actions pour l'environnement, solidarité avec les pays en voie de développement, ateliers littéraires, artistiques…
Malheureusement, tous ces domaines font l'objet de fortes attentes sociales, et la maladresse de l'École à y répondre impatiente les familles et déçoit les jeunes. On n'imagine guère que l'École doive organiser autant de disciplines d'apprentissage qu'il existe de champs de compétences à acquérir. Sans doute, c'est en étant " autrement l'École " qu'elle pourra conjoindre son ambition rationaliste et toutes ces vertus sociales.
   Texte transmis par Jean-Marc REBOUL

 

Comment rendre le CDI à ses utilisateurs?

Septembre 2000

Quand le CDI devient un lieu de vie… ou

Comment rendre le CDI à ses utilisateurs ?

Au collège et au lycée, le CDI, « Centre de Documentation et d'Information » est un lieu un peu particulier : lieu neutre et « gratuit » où le travail n'est pas sanctionné par une note : on peut y retrouver le plaisir de la recherche pour elle-même ; lieu où l'on travaille à son rythme, seul ou en groupe. C'est l'endroit de la reconstruction : l'espace et le temps y sont moins morcelés qu'ailleurs, il est plus facile de travailler ici en équipe, de déborder le cadre de l'heure de cours et de l'apprentissage disciplinaire.

Et le documentaliste peut être le lien de toute la communauté scolaire : il permet à la vie extérieure d'entrer dans l'établissement en diffusant les informations culturelles, il impulse des projets interdisciplinaires et y participe.

Voilà comment Nadine Hua Ngoc, documentaliste, a mis en place des organisation favorisant la maîtrise et l’autonomie des élèves, au collège Aliénor d'Aquitaine.

 

Vers une organisation coopérative du CDI.

Nadine est convaincue que les enfants pourraient gérer le CDI. Il lui semble important qu'ils en fassent vraiment leur instrument de travail. Elle met donc en place tout ce qui peut aller dans le sens d'un plus grand investissement et d'une autonomie accrue :

Les délégués CDI : un élève par classe est élu pour l'année, au même titre que le délégué de classe. Il donne à sa classe des informations du CDI, et rapporte en retour les idées de la classe.

La boîte à idées et le cahier : chacun écrit sur des petits papiers ce qu'il a à dire (idées, critiques) et ces papiers sont glissés dans une boîte à idées (une boîte de Kleenex !). Deux élèves volontaires recopient ces papiers sur un cahier, et Nadine répond à chaque remarque sur un cahier, mis à la disposition de tous. Les élèves attendent avec grand intérêt les réponses de Nadine.

Les décisions et les tâches à accomplir : Nadine tient compte des demandes des élèves, exprimées dans la boîte à idées, pour les achats. Elle va amener avec elle un groupe à la librairie pour faire les achats. Certains volontaires participent aussi aux tâches matérielles : rangement, couverture des livres, tampon...

L'organisation matérielle : entre midi et deux heures, les élèves sont toujours nombreux à vouloir aller au CDI. Pour éviter les disputes, et le choix arbitraire de la documentaliste, Nadine affiche à 10 h une grande feuille où s'inscrivent les enfants : il ne peut pas y avoir plus de 25 inscrits.

De la même façon, on s'inscrit sur un cahier pour accéder au multimédia..

Résumé de Catherine Mazurie

Extrait d’un compte-rendu de réunion départementale du groupe second degré de la Gironde. Thème de travail : "Comment donner des pistes d'ouverture pour enseigner autrement, dans les conditions actuelles ?"

 

Courrier des lecteurs

Septembre 2000

Réaction au numéro 117 (mars 2000). C'est une excellente idée d'avoir inséré le projet de l'APED. Malheureusement il est dommage qu'il ne soit pas mentionné l'adresse de leur site Internet. On y trouve de nombreuses analyses, textes de référence de chercheurs, et même des textes officiels tant sur le système éducatif belge que sur le système éducatif français ou même d'autres pays européens. Il y a une mise en perspective au niveau de l'Union Européenne toujours instructive L'adresse de leur site est http://users.skynet.be/aped.

Pour le reste, recevez mes meilleurs encouragements pour la poursuite de la rédaction de cette revue où il y a toujours au moins un article qui me comble. En tout cas, le Nouvel Educateur m'aide à nourrir ma réflexion et parfois améliorer ma pratique (je crois) bien qu'elle ne soit pas entièrement « Freinet ».
 Pascal Pelletier, enseignant en CM1,
Beauzelle (banlieue de Toulouse)
 

 

De l'importance de l'outil.

Septembre 2000

CHRONIQUE DE L'ECOLE ORDINAIRE

 
De l'importance de l'outil.
L'institutrice de la classe d'application est féru de psychologie et d'analyse de dessins d'enfants. Elle les archive soigneusement avec notes et commentaires, et chaque mercredi les montre au psychothérapeute du Centre médico-psycho-pédagogique. Ils se livrent alors tous deux à de savantes mais délicieuses interprétations.
Depuis quelques jours elle s'inquiète : Alain, 8 ans, ne lui donne que des graphismes noirs. Que se passe-t-il ? Elle l'observe du coin de l’œil, mine de rien (croit-elle), en se gardant d'intervenir. Rien ne laissait présager une telle régression. S'est-il produit un drame dans sa famille ? La classe dans sa fonction thérapeutique (?) lui a-t-elle permis d'exprimer son "moi profond" ?
Comment aider ce pauvre Alain à supporter cette montée de l'angoisse ?
Aujourd'hui elle est remplacée par Thierry que les enfants connaissent bien. Elle lui a parlé des problèmes actuels d'Alain et lui a recommandé de l'observer tout particulièrement.
Alain entre tout guilleret et commence à dessiner... au feutre noir.
Thierry s'approche.
- Pourquoi dessines-tu en noir ?
Alain montrant sa trousse :
- Y a que c'ti-là (celui-là) qui marche !

 

L'album, compte-rendu d'un travail mené par les enfants

Septembre 2000

L’album, choix pédagogique

L’album, compte-rendu d’un travail mené par les enfants

 

L'album est parfois recueil de textes, de dessins ou de peintures. Mais il peut aussi bien être compte-rendu plus ou moins exhaustif d'un travail mené avec les enfants sur un sujet précis. C'est de ce type d'album que présente Anne-Marie Mislin

 

Ce type d'album me tient particulièrement à coeur parce qu'il retrace toute la démarche mise en oeuvre, donnant ainsi à celle-ci l'importance qu'elle mérite, c'est-à-dire autant sinon davantage que le résultat. Dans ce type d'album on trouve :

- le choix du sujet

- le savoir initial des enfants par rapport au sujet

- le débat d'idées qui en découle

- les questions qui se posent

- les moyens qu'on se donne pour trouver des réponses : documents, enquêtes, personnes ressources...)

- les nouvelles questions éventuellement.

L'album s'inscrit dans une pédagogie, il est outil pédagogique.

 

Comment se construit l'album ?

Ma pratique a évolué au fil des ans, et la technique qui me convient le mieux est la suivante :

Je prends des notes sur la démarche suivie, depuis la manière dont le sujet est déterminé jusqu'à la conclusion. Au fur et à mesure que le travail avance, les enfants rédigent, dessinent, ... je transcris les débats.

A la fin de chaque séance, toutes les traces sont rassemblées sur un panneau d'affichage uniquement réservé à cela. Un simple coup d'oeil permet de se rendre compte de l'équilibre ou du déséquilibre entre textes et illustrations, de la qualité de la présentation (écriture, soin).

La séance suivante peut débuter rapidement et facilement par un retour sur le travail précédant.

Lorsque les feuilles de présentation sont remplies, commence la mise en forme de l'album.

Le format est fonction des feuilles dont nous disposons ou des illustrations que nous tenons à faire figurer dans l'album. L'usage de la colle repositionnable permet de laisser les enfants rechercher eux-mêmes la meilleure mise en page. En somme, avant d'être reliés en un album, les travaux font l'objet d'une exposition pour un court laps de temps. Avec ce système les travaux "ne traînent" jamais longtemps sur les murs de la classe...

Les enfants sont réellement les maîtres d'œuvre de leur album, impliqués dans ce travail à différents niveaux sur le fond et la forme. C'est pour cela sans doute qu'ils tiennent tant à leurs album. Même emportés à la maison, ils ne sont que très rarement détériorés.

Anne-marie Mislin, article paru dans Chantiers Pédagogiques de l’Est, n°312-313.

 

Les pédagogies nouvelles en question

Septembre 2000

       Cet article tente d’interpeller, dans un esprit constructif, les enseignants et les parents engagés en faveur des pédagogies nouvelles. On connaît le mauvais esprit de certains sociologues, qui s’offrent parfois le malin plaisir de remuer le couteau dans la plaie. On leur reproche volontiers de donner des arguments aux adversaires d’une bonne cause. Ne vaut-il pas mieux être toujours plus lucide que ses détracteurs ? Un article de Philippe Perrenoud*.

 
* Philippe Perrenoud, sociologue, est professeur à l’Université de Genève. Ses travaux sur la fabrication des inégalités et de l’échec scolaire l’ont conduit à s’intéresser au travail scolaire et aux pratiques pédagogiques.
 
Nul n’aime être mis en question, car la mise en accusation n’est jamais bien loin. Se mettre en question, délibérément, c’est autre chose, une façon à la fois de rester en vie et de n’être pas pris au dépourvu lorsqu’on vous dit : “ Le monde a changé : et vous ? ”.
Les pédagogies nouvelles tirent leur force et leur pertinence d’une révolte contre l’école-caserne, l’école-usine, l’école qui évalue avant d’enseigner, l’école où l’on se rend avec angoisse, où l’on travaille dans l’ennui et la souffrance, l’école où l’on est assujetti et où l’on apprend la soumission plutôt que l’autonomie, l’école sélective, qui fa­brique des échecs et des hiérarchies, l’école qui dénie le droit à l’erreur, à la diffé­rence, à la parole. Dans les pays développés, une partie des idées défendues durant des décennies par les pédagogies nouvelles qui sentaient le souffre sont désormais in­corporées - dans leur version la plus soft - au fond commun des représentations et des valeurs relatives à l’école, et se retrouvent dans certaines pratiques utilisées à large échelle : le texte libre, le conseil de classe, la correspondance scolaire se sont déta­chées du mouvement Freinet, et les démarches de projet, les modèles coopératifs et les méthodes actives ne caractérisent plus uniquement des marginaux. Les révoltes des ori­gines restent néanmoins fondées, car l’institution scolaire n’en finit pas d’exorciser ses vieux démons (Perrenoud, 1996 d). Pourtant, les écoles nouvelles d’aujourd’hui ne peuvent plus se présenter comme une alternative radicale, un refuge dont la simple existence justifierait toute l’action.
Pour survivre autrement que comme des vestiges d’une époque héroïque révolue, elles doivent affronter des risques et savoir dire non à diverses tentations ou dérives. Je vais en examiner quelques unes, en sachant d’avance que j’enfonce des portes ouvertes pour les vrais militants de l’éducation nouvelle, dont la culture politique et théorique les garde de la plupart de ces pièges, mais qu’il n’est pas inutile de mettre les points sur les i pour ceux qui adhèrent aux pédagogies nouvelles sans tout connaître de leur enracinement social et de leur histoire mouvementée.
Non à une pédagogie réduite à ses outils
Comme le souligne Boumard (1996), on assimile trop souvent Freinet à ses outils - l’imprimerie, le texte libre - et les pédagogies nouvelles à des démarches embléma­tiques : le conseil de classe, le projet, la correspondance scolaire. Ce sont des acquis impor­tants, mais ce ne sont que des moyens. Les outils disponibles sont renouvelés par l’é­volution des technologies et des logiciels, l’imprimerie d’aujourd’hui, c’est le traite­ment de texte, la PAO et la page WEB. Il reste à ne pas en devenir l’esclave.
Les démarches de formation méritent aussi d’être diversifiées et fécondées par les acquis des sciences de l’éducation et des mouvements pédagogiques. Les pédagogies nouvelles ne peuvent plus ignorer les approches constructivistes, les didactiques des disciplines (Develay, 1992, 1995), les travaux sur le transfert ou les compétences ; (Meirieu, Develay, Durand et Mariani, 1996 ; Rey, 1996 ; Tardif, 1992), les pédago­gies des situations-problèmes (Astolfi, 1992 ; Meirieu, 1989 ; 1990). L’important est de construire un rapport autonome au savoir et à la loi (Develay, 1996) par toutes les stratégies respectueuses des personnes et cohérentes avec ces finalités. Les mouve­ments pédagogiques qui s’en réclament l’ont bien compris, mais les écoles nouvelles abritent aussi des enseignants tentés d’être fidèles aux moyens plutôt qu’aux intentions, peut-être parce que ce sont les moyens qui les mobilisent…
Non à une pédagogie faite sur mesure pour les classes moyennes
Les pédagogies nouvelles sont, historiquement, du côté des opprimés, des défavori­sés, des classes populaires. Que reste-t-il de cet ancrage historique dans une société de classes moyennes ? Lorsque les parents sont libres du choix de leur école, ce sont les familles de classes moyennes supérieures qui inscrivent leurs enfants dans les écoles actives. Cela n’a rien de mystérieux : le capital culturel et la position des pa­rents leur donnent en leur enfant la confiance nécessaire pour parier sur son dévelop­pement, son autonomie, la construction de soi plutôt que sur une instruction menée au pas de charge. Les valeurs personnalistes des écoles actives font écho aux valeurs in­dividualistes des catégories sociales pour lesquelles la réussite, le bonheur et le sens de la vie sont des affaires intimes. Sans doute le respect du sujet n’est-il pas, philoso­phiquement, synonyme d’individualisme, mais dans la vie de tous les jours, la confu­sion est possible.
À cela s’ajoute le réel divorce entre les valeurs, le rapport au savoir et à la règle, les modalités de travail qui animent les pédagogies nouvelles et la culture des enfants et des parents des classes populaires. Apprendre par le jeu, discuter les ordres, négocier les activités, parlementer, poser des questions, formuler des objections, tout cela pa­raît contraire aux rapports “ naturels ” adultes-enfants et aux façons jugées sérieuses d’apprendre aux yeux des familles ouvrières. Quant aux enfants, les activités ou­vertes, le contrat négociable, le savoir incertain peuvent les déboussoler (Perrenoud, 1996 b). Qu’elle le veuille ou non, l’école active parle aux enfants et aux pa­rents des classes moyennes supérieures un langage qui leur est familier, au-delà des divergences politiques.
Non à une pédagogie politiquement désengagée
La classe ouvrière s’embourgeoise et les plus défavorisés d’aujourd’hui - immigrés, chômeurs, minorités ethniques ou réfugiés - sont trop occupés à survivre pour construire un projet de société comparable ceux qui ont porté le mouvement ouvrier depuis le XIXème siècle. L’effondrement du communisme totalitaire permettra peut-être l’émergence d’un socialisme crédible, mais aujourd’hui, la connexion n’est pas facile à établir entre les pédagogies nouvelles et un projet politique mobilisateur. Les enseignants des écoles nouvelles peuvent donc être tentés de centrer la pédagogie sur le sujet, en l’armant pour une société aux valeurs de laquelle ils adhèrent faiblement, sans voir se dessiner une “ utopie crédible ”. Des écoles alternatives jadis inscrites dans un mouvement social deviennent des figures parmi d’autres de la “ bonne école ”.
La difficulté est de réinscrire l’école nouvelle dans un combat de société sans nourrir la nostalgie d’une époque où les enjeux étaient plus clairs et les camps mieux dessinés. Aujourd’hui, le tiers-mondisme, l’écologie, la lutte contre le racisme ou le refus d’une société duale ou l’exclusion ont plus de pertinence que la défense d’une classe ouvrière recomposée et pour une part divisée, puisqu’elle vote de plus en plus souvent pour l’extrême-droite.
Non à un simple refuge contre la dureté du monde
Parmi les révoltes qui inspirent les pédagogies nouvelles, il y a le sort de l’enfance :
La pédagogie de l’école républicaine se coule dans le moule des pédagogies cléri­cales ; elle en reprend à la fois les rites, les méthodes et les techniques “ disciplinaires ”. C’est une pédagogie de la maîtrise qui ignore l’enfance ou, plutôt, qui ne s’adresse qu’à la part adulte qui sommeille en l’enfant, qui lutte contre ce qui est enfantin chez lui : la rêverie, le jeu, la dissipation, l’instabilité. La forme scolaire répu­blicaine ne rompt pas avec ses devancières
 (Dubet et Martucelli, p. 29.).
Une pédagogie centrée sur l’enfant prend son parti, le reconnaît dans sa différence et l’autorise à grandir à la faveur de rapports sociaux moins durs que ceux qui prévalaient dans l’école cléricale ou républicaine. Le refus de la violence symbolique et du déni du sujet est une noble cause. Osons dire que les adultes peuvent y trouver leur compte. Pour quelques uns, les écoles nouvelles sont aussi un refuge contre les logiques de compétition et de pouvoir qui gouvernent nos sociétés. Chercher à travailler dans un lieu protégé ne saurait être, cependant, la raison majeure d’une adhésion aux pédagogies nou­velles. La quête d’une oasis pourrait en effet conduire à renoncer à toute tension entre les désirs des sujets et la raison de leur présence dans une école : apprendre. Or, sans cette tension, il n’y a pas d’accès aux savoirs et à une identité autonome.
Non à une pédagogie sans évaluation, ni exigences fortes
La peur de reconstruire des hiérarchies et de fonder des sélections peut alimenter le désir de ne pas évaluer, pour ne mettre personne en échec apparent. Les écoles nou­velles rejettent la note, mais les plus lucides ne refusent pas la vérité des écarts. C’est la seule façon de les neutraliser : ne pas pratiquer la politique de l’autruche, ne pas faire comme si tous les enfants avaient les mêmes moyens d’apprendre et construi­saient spontanément les mêmes compétences. Sans évaluation, il n’y a pas de régula­tion des apprentissages. Pratiquer une pédagogie de la réussite, ce n’est pas affirmer la réussite contre toute évidence, c’est la rendre possible et ne pas enfermer l’appre­nant dans un échec provisoire.
L’exigence, c’est aussi ne pas rapprocher la culture scolaire de l’enfant au point de ne lui donner aucun moyen nouveau de comprendre le monde.
Non à une pédagogie enfermant chacun dans sa différence
Entre enfermer l’élève dans son rythme ou le forcer à apprendre à marche forcée, la voie est étroite. Les pédagogies nouvelles ont toujours été plus sensibles à la part de violence dans l’action éducative, à la tentation de fabriquer autrui, tel Frankenstein (Meirieu, 1996). Cette prudence peut nourrir une forme d’attentisme. “ Si je devais vraiment rouler à mon rythme, je ne roulerais pas ”, dit Le Chat, personnage des bandes dessinées de Philippe Geluck. Meirieu le dit autrement :
il y aurait un danger à vivre la différenciation comme une manière de casser, de briser toute dynamique collective, ou d’individualiser comme une manière de “ respecter ” les différences et d’y enfermer les personnes. Moi je ne “ respecte pas ” les différences, je le dis avec beaucoup de simplicité, les différences j’en tiens compte… ce qui est tout à fait autre chose (Meirieu, 1995).
Dans les écoles nouvelles, le désir de faire accéder chacun au savoir comme moyen de libération a servi de contrepoids à la tentation de l’attentisme. En un temps où les “ savoir-être ” paraissent plus importants que les savoirs, on peut croire - qui n’en au­rait envie - que l’on peut apprendre sans jamais travailler, ni souffrir. Non pas souffrir de l’ennui ou de brimades, mais souffrir de devoir comprendre et assimiler des sa­voirs qu’au départ on trouve opaques, abstraits, hors d’atteinte. Apprendre en jouant, pourquoi pas, mais en sachant que le jeu, ce n’est pas la facilité, la désinvolture, la détente, mais une tension positive vers la maîtrise des situations, bref, la construction de compétences. Une pédagogie différenciée (Meirieu, 1996 b) n’est pas une pédago­gie du renoncement.
Non à une pédagogie écartant les parents
Les écoles nouvelles ont historiquement refusé la relégation des familles à la marge de la scolarité de leurs enfants. C’est là que l’ont trouve les parents les plus impliqués dans la gestion communautaire de l’établissement. Pourtant, ces solidarités peuvent être menacées de part et d’autre.
Les parents, devenant consommateurs d’école (Ballion, 1982), se montrent de plus en plus exigeants et certains définiraient volontiers l’école active comme une école bâtie sur mesure pour leurs enfants, comme le simple prolongement de leurs valeurs et ambitions éducatives. Les enseignants se trouvent dès lors mis en situation de ser­vir un projet éducatif qui n’est pas négocié. L’asymétrie s’est renversée…
À l’inverse, une équipe pédagogique peut être, à certains moments de l’histoire d’une école alternative, lasse de la négociation, fatiguée de travailler à ciel ouvert, à court d’énergie pour expliquer à des parents de plus en plus instruits que les urgences et les incertitudes du métier (Perrenoud, 1996 e) ne permettent pas de tout maîtriser et de tenir toutes les promesses. On peut comprendre la tentation de se retrouver entre pro­fessionnels, mais elle tourne le dos à une coopération indispensable. Pas seulement pour que les devoirs soient compris ou l’évaluation bien reçue, mais pour que les sa­voirs et le travail scolaires aient un sens construit à la fois en classe et à la maison.
Non à une pédagogie en circuit fermé
Le clivage école nouvelle - école traditionnelle a vécu. Même si une école globale­ment engagée dans les pédagogies nouvelles est toujours un endroit extraordinaire, pas comme les autres, en raison de cette commune orientation et du rattachement à un mouvement plus large, à des réseaux militants, il serait absurde de ne pas voir que dans le système éducatif, une partie des enseignants ont les mêmes valeurs et pour­suivent des projets proches ou qui présentent au moins certaines convergences. Le mouvement d’éducation nouvelle n’est jamais aussi fort que lorsqu’il se mêle au système et investit dans les groupes où l’on débat des programmes, de la formation des enseignants, de l’évaluation, des devoirs. La pureté cultivée en circuit fermé conduit au complexe de l’assiégé - le village d’Obélix et Astérix - et du juste, parfois à une forme d’arrogance. Le système éducatif a besoin des militants de l’éducation nouvelle partout où il est question de lutter contre l’échec scolaire, le non sens du tra­vail, la soumission à des normes, l’évaluation et la sélection précoces. Qu’ils ne soient pas constamment suivis ne devraient pas les inciter au repli !
Facile à dire
“ Rendre l’élève actif… c’est vite dit ! ”, ai-je écrit (1996 c). Les pédagogies nou­velles relèvent un défi majeur… donner du sens aux savoirs sans renoncer à les rendre accessibles, pour les rendre accessibles (Vellas, 1996, Perrenoud 1996 a). Aménager pour cela l’espace de la classe, la relation, le contrat, le temps, le matériel. Coopérer à l’échelle de l’école. Travailler avec les parents. Se former, réfléchir sur sa pratique.
Rappeler les militants des écoles nouvelles à leurs idéaux, c’est évidemment facile et un peu injuste. Les risques qu’ils affrontent sont sans commune mesure avec la routine dans laquelle nombre de classes et d’écoles fonctionnent. Pourquoi demander toujours plus à ceux qui en font déjà plus pour la cause des élèves que ceux qui se contentent d’un travail d’exécutant ? Sans doute parce qu’on estime qu’ils en ont les moyens et parce qu’on a terriblement besoin qu’ils avancent encore pour faire avan­cer l’école ! Non pas seulement pour innover, moderniser les dispositifs, proposer un usage ingénieux des technologies ou défendre des valeurs humanistes, mais pour articuler valeurs, savoirs, scolarité et organisation de la cité. Penser tout cela ensemble est très difficile, aucun ressource n’est superflue. Les pédagogies nouvelles enrichissent notre héritage commun.
Philippe Perrenoud
Cet article a paru dans L'Éducateur, Magazine du Syndicat des enseignants de Suisse romande (24 mai 1997, n° 7, pp. 28-31). Il est repris avec l'accord de la rédaction de L'Éducateur.

Références
Astolfi, J.-P. (1992) L’école pour apprendre, Paris, ESF.
Ballion, R. (1982) Les consommateurs d’école, Paris, Stock.
Boumard, P. (1996) Célestin Freinet, Paris, PUF.
Develay, M. (1992) De l’apprentissage à l’enseignement, Paris, ESF.
Develay, M. (éd) (1995) Savoirs scolaires et didactiques des disciplines,Paris, ESF.
Develay, M. (1996) Donner du sens à l’école, Paris, ESF.
Dubet, F. et Martucelli, D. (1996) À l’école. Sociologie de l’expérience scolaire, Paris, Seuil.
Meirieu, Ph. (1989) Apprendre… oui, mais comment ?, Paris, ESF, 4e éd.
Meirieu, Ph. (1990) L’école, mode d’emploi., Paris, ESF, 5e éd.
Meirieu, Ph. (1995) Différencier, c’est possible et ça peut rapporter gros, in Vers le changement… espoirs et craintes. Genève, Département de l’instruction publique, pp. 11-41.
Meirieu, Ph. (1996 a) Frankenstein pédagogue, Paris, ESF.
Meirieu, Ph. (1996 b) La pédagogie différenciée : enfermement ou ouverture, in Bentolila, A. (dir.) L’école : diversités et cohérence, Paris, Nathan, pp. 109-149.
Meirieu, Ph., Develay, M, Durand, C, et Mariani, Y. (dir.) Le concept de transfert de connais­sance en formation initiale et continue, Lyon, CRDP.
Perrenoud, Ph. (1995) La fabrication de l’excellence scolaire : du curriculum aux pratiques d’éva­luation., Genève, Droz, 2ème édition augmentée.
Perrenoud, Ph. (1996 a) Métier d’élève et sens du travail scolaire, Paris, ESF, 3e édition.
Perrenoud, Ph. (1996 b) La pédagogie à l’école des différences, Paris, ESF, 2e édition.
Perrenoud, Ph. (1996 c)Rendre l’élève actif… c’est vite dit !, Migrants-Formation, n° 104, mars, pp. 166-181.
Perrenoud, Ph. (1996 d) En finir avec les vieux démons de l’école, est-ce si simple ? Antidote so­ciologique à la pensée positive, in Des idées positives pour l’école, Actes des journées du Cinquantenaire des Cahiers pédagogiques, Paris, Hachette, pp. 85-130.
Perrenoud, Ph. (1996 e) Enseigner : agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude, Paris, ESF.
Rey, B. (1996) Les compétences transversales en question, Paris, ESF.
Tardif, J. (1992) Pour un enseignement stratégique, Montréal, Éditions Logiques.
Vellas, E. (1996) Donner du sens aux savoirs à l’école : pas si simple !, in Groupe français d’é­du­cation nouvelle, Construire ses savoirs, Construire sa citoyenneté. De l’école à la cité, Lyon, Chronique sociale, pp. 12-26.

 

Au Brésil, l'escola Recanto

Septembre 2000

Depuis quatre ans, les contacts réguliers avec des enseignants du Brésil m'ont permis d'observer la vie des différentes couches sociales et la vie politique de ce pays. J'ai aussi découvert « l'éducation » dans les écoles en pédagogie traditionnelle et surtout participé activement au travail effectué à « l’Escola Recanto » qui, depuis trente ans, a intégré la Pédagogie Freinet.

Etant intervenu dans plusieurs « séminaires Freinet », je me suis rendu compte que les professeurs, du primaire à l'université, étaient bien informés sur la philosophie de la pédagogie Freinet, surtout pour le rôle qu'elle peut jouer dans l'accès pour tous à l'école dans un pays à fort analphabétisme et pour une formation à la citoyenneté.
Pourtant beaucoup de professeurs, sont en difficulté dans leur pratique quotidienne à l'intérieur de la classe. Ce qui suit voudrait montrer l'intérêt d'un travail réfléchi, collectif qui permet une auto-formation au sein même d'une école qui s'est donnée des buts précis.
André Lefeuvre
 
Quelques chiffres :
Il est estimé que 2 à 3% de la population représentent la classe riche, très riche, 30 à 35% la classe moyenne à l'intérieur de laquelle on pourrait trouver les « moyens-riches » et des « moyens-pauvres » ! Près de 70% de la population est en difficulté à des niveaux différents, des niveaux qui atteignent parfois l'impossibilité de se nourrir. Il est estimé que dans certaines régions les analphabètes représentent 30% de la population.
 
 
Dans leur pratique pédagogique, Paulo Freire au Brésil avec des adultes, Freinet en France avec des enfants, ont montré la richesse d'une éducation en prise avec les réalités de son environnement naturel et social.
En 1969, convaincue par les écrits de Freinet, Fatima Morais (1) ouvre à Récife la première classe de l'école qui va devenir: « L'ESCOLA RECANTO ». Son but : utiliser tous les principes fondamentaux de la pédagogie Freinet en la prolongeant par la formation à la citoyenneté. Cette école privée (non confessionnelle) a des effectifs imposants qui peuvent varier d'une année à l'autre de 650 à 900 élèves. C'est un lieu exceptionnel pour observer en vraie grandeur un système éducatif en coopération allant de la maternelle à la classe terminale de lycée.
L'Escola Récanto accueille aussi des élèves en grande difficulté motrice ou psychique. Ce type de classes est très rare au Brésil, aussi bien dans l'enseignement public que dans l'enseignement privé.
Cette école qui présente un cursus complet de la maternelle au lycée, a dû résoudre toutes les difficultés que cela représente au niveau de sa gestion matérielle et de son organisation pédagogique. Plus de 40 professeurs participent à la vie de l'école, à des niveaux différents ; il faut y adjoindre un corps de l'éducation qui n'existe pas en France : la coordination. Cinq coordinatrices sont chargées des tâches d'organisation générale (prévoir, animer les réunions, etc.), du suivi des élèves, de l'aide aux professeurs et de l'organisation des fêtes. Ce sont elles aussi, qui reçoivent les parents.
Trois psychologues se répartissent le suivi d'élèves en difficulté et participent à l'observation des professeurs. Un psychologue généraliste assure un suivi de cas plus spécifique d'enfants en grande difficulté pour fournir des éléments susceptibles d'aider les professeurs. En sciences, une « ascesseur », professeur de Faculté, apporte son soutien aux élèves et aux professeurs dans le domaine scientifique et des travaux (projets).
Une spécialiste universitaire en informatique guide les élèves pour une meilleure adaptation de l'informatique à des types de travaux en cours.
Enfin, une directrice pédagogique coordonne l'ensemble des réunions par niveaux et les réunions générales.
A ce personnel pédagogique, il faut ajouter le personnel administratif et le personnel chargé de l'entretien. Comme dans la grande majorité des cas, au Brésil, le « local classe » sert au moins deux fois dans la journée à des professeurs souvent différents, les élèves étant inscrits, soit pour la matinée, soit pour l'après-midi. D'ailleurs, dans certaines écoles, la même classe est aussi utilisée le soir pour d'autres cours. Les élèves sont au nombre de 15 à 25 dans les classes enfantines et élémentaires et ne dépassent pas trente dans les classes du collège et au lycée. Elles sont composées d'une manière hétérogène.
L'origine sociale des élèves se situe dans les différents niveaux de la classe moyenne brésilienne, facteur positif pour l'école mais qui ne gomme pas les traumatismes psychologiques de certains élèves dus à des situations familiales mal vécues: les séparations parentales sont fréquentes au Brésil. Les nombreuses fluctuations monétaires avec dévaluations du « Rais » entraînent une baisse des revenus dans les familles.
Le choix pédagogique et la vie de cette école prennent encore plus de valeur si on connût la situation économique, sociale et scolaire du Brésil.
 
L'éducation prend toute sa valeur dans un pays qui veut évoluer vers une organisation sociale soucieuse de prendre en charge tous les citoyens. Pourtant, comme dans beaucoup d'autres domaines, l'état de l'école publique est souvent désastreux. Dans certaines villes, les parents passent des heures à attendre devant la porte d'une école dans l'espoir d'y faire inscrire leurs enfants.
 
 Les professeurs qui participent à des avancées pédagogiques ont d'autant plus de mérite que leur situation matérielle est précaire. Enfin, le fondement même de la culture brésilienne conditionne le fonctionnement de la société à travers des relations humaines très marquées par l'individu (3). Prendre parti pour une formation à la citoyenneté représente donc un acte important pour la démocratie.
André Lefeuvre
l) Fatima Morais. Freinet : a escola do futuro (org) Ed. Bargaço
2) Son nom brésilien : « vestibular » .
(3) Lire « Racines du Brésil » de Sergio Buarque de Holanda Arcades Gallimard Editeur.